Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Panda Rouge
Derniers commentaires
12 février 2007

GRANDS PROBLEMES POLITIQUES ET SOCIAUX CONTEMPORAINS L2 S4

GRANDS PROBLEMES POLITIQUES ET SOCIAUX CONTEMPORAINS

I – Les relations entre le pouvoir, le citoyen, l’électeur et l’élu.
La participation politique peut globalement être définie comme une « action volontaire, réussie ou non, organisée ou non, épisodique ou continue, employant des moyens légitimes ou illégitimes, visant à influencer le choix des politiques, l’administration des affaires publiques ou le choix des leaders politiques à tout niveau du gouvernement local ou national » (Weiner, 1971). Cette participation politique peut revêtir plusieurs formes. En effet, la société est traversée en permanence d’antagonismes d’intérêts qui sont à l’origine de conflits et de luttes sociales. Pour résoudre ces conflits, les individus peuvent se regrouper afin d’agir collectivement. Cette action collective peut alors revêtir plusieurs formes : elle peut être destinée par la protestation (manifestation, grève) à obtenir des changements sociaux. Cette action n’est alors qu’indirectement liée au fonctionnement du système politique. Elle peut également par l’action militante au sein d’un parti être destinée à exercer une influence plus directe sur le fonctionnement du système politique. Mais la participation des citoyens à la vie de leur pays peut aussi se réaliser de façon individuelle par le biais du vote lors des élections libres et démocratiques. En fait, la participation politique peut être définie comme l’ensemble des activités, individuelles ou collectives, susceptibles de donner aux gouvernés une influence sur le fonctionnement du système politique. Elle repose sur diverses techniques de participation (action collective comme les manifestations ou le syndicalisme, participation électorale) et concerne principalement des agents spécialisés, faisant profession de ces activités ou au moins directement intéressés par leur accomplissement : élus, gouvernants, militants et adhérents de partis. 
Cependant, les autres individus ne sont pas complètement tenus à l’écart des activités politiques. Périodiquement, on voit émerger des groupes de citoyens qui revendiquent, avec plus ou moins de succès, la prise en compte dans les débats politiques de leurs revendications. Dans la première situation on évoque une participation conventionnelle, alors que dans la seconde hypothèse on parle souvent de participation protestataire.

        A – La participation électorale
La participation populaire a été un enjeu majeur des crises institutionnelles survenues en France au 19ème siècle.  En effet, à cette époque, l’industrialisation et l’urbanisation ont fait naître des demandes très fortes de participation. La chute de Louis Philippe en 1848 est largement due à des problèmes liés à l’élargissement du suffrage. Il est à cet égard paradoxal de noter qu’en France c’est le second Empire (régime autoritaire) quia banalisé le suffrage universel (qui jusque-là avait été rejeté en raison de son association à la période de la terreur sous la Révolution), répondant ainsi aux attentes de la population tout en rassurant les milieux d’affaire sur les conséquences de ce mode de désignation des gouvernants.
Aujourd’hui, la participation populaire possède deux fonctions. La première est de légitimer les gouvernants. A ce titre, l’élargissement du suffrage est concomitant au développement de l’Etat et à la laïcisation de la société. La capacité d’adhésion des individus exprimée par une forte participation populaire est bien plus forte dans les démocraties pluralistes où existe une pluralité de candidats. C’est pourquoi les démocraties pluralistes redoutent davantage l’effondrement de la participation populaire en raison d’une forte abstention que l’émergence de votes protestataires. La seconde fonction de la participation populaire est de permettre au peuple d’intervenir dans le choix de ses gouvernants. Dans les démocraties pluralistes, les électeurs arbitrent entre les différents candidats présentés par les formations politiques. En conséquence, les électeurs ne sont pas entièrement libres de leur choix, il sont guidés par la présélection des candidats effectuée par les partis politiques. La liberté de choix ne serait totale que si il n’était jamais nécessaire d’être candidat pour être élu. Dans ce cas chaque électeur pourrait librement choisir parmi chaque citoyen les personnes qu’il estime le plus apte à devenir gouvernant de son pays. Plus largement, la participation populaire est également un moyen pour le peuple d’intervenir directement dans la prise de décision lorsqu’il existe des éléments de démocratie directe comme le référendum. Lorsque le peuple se prononce directement sur un projet de loi, ordinaire ou constitutionnel, le système représentatif est mis entre parenthèses et le pouvoir des élus s’en trouve affaibli. Une distinction doit être faite sur le degré d’influence des électeurs selon le type de référendum. Lorsque le référendum provient d’une décision des gouvernants de faire appel au peuple, ce dernier est enfermé dans un choix prédéfini par les gouvernants. En revanche, il existe des référendums d’initiative populaire pour lesquels le peuple décide lui-même de la question à poser à l’ensemble des citoyens (le référendum est obligatoirement organisé dès qu’une pétition réunit le nombre minimal de signatures exigées par la Constitution). La participation populaire repose sur la conception de l’électeur. 
La conception originelle de l’électeur est marquée d’un triple sceau : élitiste, corporatiste et sexiste. Elitiste comme dans la démocratie grecque puis dans les démocraties naissantes de Grande-Bretagne et de France (la richesse et les lumières disait Benjamin Constant) ; corporatiste comme dans les monarchies organisées en Etats ou dans les villes autonomes d’Italie ; sexiste partout jusqu’au 20ème siècle où les femmes finissent par conquérir le droit de vote. Ce n’est que depuis l’ordonnance du général de Gaulle du 21 avril 1944 (vote pour le 1ère fois en 1945) que le suffrage est réellement universel en France. Pourtant, si tous les citoyens possèdent le droit de vote, tous n’utilisent pas ce droit de la même manière.

a – l’absence de participation électorale
La société est divisée entre des citoyens participants et une majorité d’individus que leur position sociale tient à l’écart des activités politiques. La répartition inégale de la participation entre les diverses catégories sociales a été très tôt démontrée. Certains groupes sont écartés de la participation en raison de leur incapacité à peser sur les décisions (incapacité qui résulte autant de leur position sociale défavorisée que du sentiment qu’ils en ont). Les groupes socialement dominés c’est-à-dire dépourvus des capitaux (économiques, culturels, relationnels) que détiennent les groupes dominants sont exclus du jeu politique, de la compréhension de son langage et de ses règles, et donc condamnés à la non-participation. Parallèlement, les agents capables de participer aux activités politiques, de se faire une opinion doivent leur compétence à leur position sociale et aux ressources qui y sont attachées.   
Cette constatation dément l’existence d’un intérêt pour la politique qui serait partagé par la grande masse des citoyens. En outre, elle met en évidence deux éléments : d’une part une tendance à l’affaiblissement de la participation électorale ; d’autre part, la concentration de la participation entre les mains d’un petit nombre d’individus.
Si l’on a assisté à une progression de la participation électorale de 1848 (instauration du suffrage universel masculin) à 1936, il est ensuite apparu une période de stabilité de 1945 (1er vote des femmes) jusque dans les années 70. Depuis les années 80, avec une accentuation dans les années 90, on assiste à une baisse constante de la participation électorale. Aujourd’hui, toutes les élections sont concernées, même l’élection présidentielle qui demeure pourtant un temps fort de la vie civique des français et pour laquelle l’érosion de la participation est plus faible. L’affaiblissement de la participation électorale entraîne corrélativement la montée de l’abstentionnisme.
Le terme abstentionnisme désigne la non-participation aux votes de citoyens qui se sont inscrits sur les listes électorales, c’est donc par rapport aux inscrits qu’est mesurée, à chaque élection, l’ampleur de l’abstention. Or, pour calculer le nombre d’électeurs potentiels (citoyens susceptibles d’aller voter) qui ont le droit de vote mais en s’en servent pas, il faut également tenir compte de tous ceux qui ne se sont pas inscrits sur les listes électorales. La non-participation au vote résulte donc de deux conduites : l’absence d’inscription sur les listes électorales et l’abstention proprement dite. Dès lors, la participation réelle, rapportée au nombre de citoyens qui auraient pu voter est très inférieure à la participation mesurée lors de chaque élection par rapport à l’abstention c’est-à-dire aux seules personnes inscrites sur les listes électorales. Par exemple, en France, les participants systématiques aux élections c’est-à-dire ceux qui sont inscrits et votent régulièrement ne constituent qu’un peu plus de 50 % du corps électoral potentiel (ensemble des citoyens disposant de la capacité de voter). En effet, sur une population de 60 millions d’habitants, il y a 47 millions de français qui ont plus de 18 ans et sont donc en âge d’aller voter. Or, seuls 42 millions sont inscrits sur les listes électorales et 29, 5 millions se sont déplacés aux urnes au 1er tour de l’élection présidentielle (26, 5 millions se sont déplacés pour le 1er tour des élections législatives).   
La non-inscription sur les listes électorales résulte de plusieurs facteurs. Elle doit, en premier lieu, être liée avec l’âge, les jeunes électeurs potentiels ayant tendance à s’inscrire tardivement (20% des 20-24 ans ne sont pas inscrits). De plus, c’est dans la catégorie des jeunes les plus défavorisés (pas de diplôme, emploi temporaire et précaire, chômeurs) que la non inscription sur les listes électorales est la plus forte. Au-delà de cet aspect lié à l’âge, la non-inscription doit être liée à la situation professionnelle. Ce sont les catégories socioprofessionnelles les moins diplômées et les moins qualifiées et où les revenus sont les plus faibles qui ont le taux le plus faible d’inscription sur les listes électorales. La distribution sociale de la non-inscription est donc conforme à la règle générale d’une activité politique qui est étroitement liée au statut social et à la situation professionnelle.    
Quant à l’abstention proprement dite, elle varie d’abord d’une élection à l’autre. En effet, certains types d’élections nationales (élections présidentielles ou législatives) mobilisent davantage d’électeurs inscrits dans la mesure où elles sont largement commentées dans les médias et qu’elles apparaissent comme fondamentales pour la direction du pays. Pourtant, on a constaté en 2002 un accroissement sensible de l’abstention à l’élection présidentielle. Ainsi, à l’élection de 1995, l’abstention (inscrits – votants) était de 21, 6 % au 1er tour. Au 1er tour de l’élection présidentielle de 2002, elle atteignait le niveau record de 28, 4 % (comparativement, l’abstention n’était que de 15 % en 1965 lors de la première élection du Président de la République au suffrage universel direct). D’autres élections, telles que les élections européennes ne sont pas perçues comme répondant à des enjeux fondamentaux par la population ce qui conduit à un taux d’abstention encore plus fort. Cependant, il peut arriver que des élections qui ne devraient pas être fortement mobilisatrices le deviennent en raison d’une conjoncture spécifique liée par exemple à une menace de partis extrémistes ou au risque de voir une alternance se produire ou pour exprimer un fort mécontentement (ex : régionales de 2004 qui ont vu l’abstention sensiblement reculer alors que, traditionnellement ce ne sont pas des élections fortement mobilisatrices. En fait, les électeurs ont sanctionné le gouvernement pour sa politique. Reste à savoir si cette baisse de l’abstention se confirmera). Dans ce cas, ce sont les professionnels de la politique (candidats, élus, dirigeants de partis et journalistes) qui par leurs commentaires et leurs attitudes incitent les citoyens à une plus forte mobilisation électorale. C’est à ce phénomène auquel on a assisté entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2002. En effet, théoriquement, les électeurs de gauche, et plus largement tous ceux qui ne désiraient pas voir le président sortant ou le candidat Le Pen élus, auraient dû s’abstenir ou voter blanc. Or, devant la menace représentée par l’extrémisme et fort bien relayée par les médias et le président sortant, ces électeurs (essentiellement de gauche) se sont fortement mobilisés, ce qui explique la diminution sensible de l’abstention (20, 3 %) et le score très élevé du Président Chirac. En fait, si l’abstention régresse généralement au second tour de l’élection présidentielle, jamais un tel mouvement de recul n’avait été enregistré. Près de 12% des inscrits, qui n’avaient pas voté au 1er tour, se sont exprimés au second, ce recul s’expliquant par la mobilisation de la jeunesse. Toutefois, cette attitude ne s’est pourtant pas reproduite aux élections législatives qui ont eu lieu un mois plus tard (35, 5 % d’abstention au 1er tour et 39, 7 % au second), le risque d’une victoire de l’extrême droite ayant été considéré comme écarté par les électeurs. Par conséquent, l’élan civique est retombé notamment chez les 18-25 ans qui s’étaient fortement mobilisés au second tour de la présidentielle et qui n’ont pas retenus les leçons du 21 avril. L’abstention enregistrée lors du 1er tour des législatives signe la persistance, voire l’aggravation de la crise de la représentation politique qui touche l’ensemble de l’électorat  mais de façon plus problématique les jeunes électeurs. La danger lepéniste écarté, les enjeux propres de l’élection ne sont pas apparus suffisamment décisifs pour susciter un intérêt. Dès lors, l’ampleur de la participation au second tour de la présidentielle apparaîtrait comme un accident de parcours tandis que le 1er tour des législatives marquerait un retour à l’ordinaire d’une profonde mésentente politique.      
L’abstention varie également, de la même manière que la non-inscription sur les listes électorales, en fonction de l’appartenance à une catégorie socioprofessionnelle. Elle est relativement limitée chez les agriculteurs et les commerçants car leur insertion sociale locale est très forte et la durée de leur résidence élevée. Il en est de même pour les professions les plus valorisées, accessibles à des individus diplômés et procurant des revenus importants. A l’inverse, l’abstention croit avec la non-qualification, l’instabilité, la faiblesse du statut social et des revenus.  Toutefois, il devient très difficile d’expliquer les chiffres de l’abstention par ces seules données car l’abstention ne cesse de progresser alors que des facteurs tels que l’augmentation de l’instruction ou des classes moyennes sont censés la faire reculer. En fait, l’abstention a de multiples causes qu’il est très difficile de répertorier tant le parcours électoral de chaque citoyen n’est pas linéaire. Quoi qu’il en soit, si l’on analyse le profil des abstentionnistes de 2002, on constate que l’abstention touche plus les femmes que les hommes, les jeunes électeurs et les chômeurs. Les taux d’abstention parmi les catégories socio-économique défavorisées sont toujours supérieurs à ceux enregistrés chez les cadres et les intellectuels. De plus, l’abstention a fortement progressé chez les petits commerçants et les agriculteurs même s’ils continuent de voter plus que la moyenne. Enfin, ce sont les électeurs de droite qui sont le plus touché par ce phénomène contrairement à ce que l’on a pu dire pour analyser le 1er tour de 2002. L’abstention progresse aussi quelque soit le niveau d’implication politique des électeurs et même chez ceux qui sont des électeurs possédant une préférence marquée pour un parti politique.   
      Dans son ouvrage, L’abstentionnisme électoral en France, Alain Lancelot distingue trois sortes d’abstentions. Tout d’abord, il existe un abstentionnisme forcé qui concerne les personnes qui ne peuvent physiquement pas se rendre au bureau de vote le jour de l’élection (malades, accidentés…) et qui représente 7 à 8 % des inscrits (ce nombre ne varie que peu d’une élection à l’autre mais en revanche les personnes composant cette catégorie sont fréquemment renouvelées). Puis, on relève l’abstentionnisme d’isolement idéologique qui comprend à la fois les non-inscrits (qui ne sont pas comptés dans l’abstention le soir du vote mais qui méritent néanmoins une attention particulière car ils démontrent le faible intérêt pour la chose publique, ils forment environ 6% du corps électoral potentiel) et des abstentionnistes fréquents représentant 7 à 8 % des inscrits. Enfin, il existe un abstentionnisme de conjoncture politique soumis à de très fortes variations en volume et de très forts renouvellements internes d’une élection à l’autre. Si l’on écarte l’abstentionnisme résultant d’une impossibilité absolue d’aller voter, il reste principalement deux catégories d’abstentionnistes : ceux que leur défaut d’intégration sociale écarte plus ou moins de cet acte élémentaire de la participation politique qu’est le vote et un abstentionnisme de conjoncture, fortement lié à l’enjeu de pouvoir de l’élection, du moins tel qu’il est perçu par l’électeur, les élections locales étant moins mobilisatrices que les élections d’enjeu national.
Une autre classification des formes d’abstention peut être réalisée qui aboutit à un découpage différent de la population des « pêcheurs à la ligne ». On peut tout d’abord évoquer une abstention de combat qui se manifeste quand une formation politique donne à ses partisans la consigne de ne pas se rendre aux urnes soit parce qu’elle entend ainsi dénoncer la consultation électorale soit parce qu’elle considère qu’aucun des candidats en lice ne mérite son soutien (cas lors des seconds tours en France). Cette forme d’abstention correspond en fait à une participation électorale en négatif. Elle montre non le désintérêt de la politique de ceux qui suivent cette consigne mais au contraire leur volonté de faire entendre leur point de vue, différent de celui des candidats en lice. On peut également distinguer une forme d’abstention individuelle qui est révélatrice des difficultés rencontrées par un citoyen pour s’intégrer socialement. On retrouve là la catégorisation réalisée par Alain Lancelot.
Enfin, la troisième forme d’abstention se caractérise par une désaffection collective à l’égard du système politique. Certains citoyens, qui votaient de façon régulière, se mettent soudain à ne plus prendre part aux votes. Cette situation traduit une certaine lassitude d’une partie du corps électoral qui considère que, quelque soit le résultat de l’élection, la situation des individus ne changera pas et ne s’améliorera pas face aux vrais problèmes que sont le chômage, l’insécurité, l’environnement…  Cette abstention apparaît alors comme une forme de protestation et devient aussi importante que l’opinion émise par un citoyen se rendant aux urnes.  Cette forme d’abstention inquiète les dirigeants des partis politiques car elle traduit l’inadaptation des institutions démocratiques à résoudre les problèmes courants de la vie des citoyens. C’est sans doute cet aspect de l’abstention qui explique la faiblesse de la participation électorale à l’élection présidentielle de 2002 (L’augmentation de la participation électorale aux élections régionales et cantonales de mars 2004 semblerait atténuer ce propos, les électeurs ayant choisi de voter pour exprimer leur mécontentement). En effet, aujourd’hui, l’acte de voter est moins investi de la certitude qu’il permet de changer les choses. La politique serait ailleurs, sur d’autres terrains que la scène électorale et supposerait d’autres moyens de pression. L’importance prise par les mouvements sociaux déplaçant les enjeux politiques sur la scène internationale exprime, en même temps que le besoin de faire de la politique autrement, la conviction d’une plus grande efficacité de ce type de pratique. Dès lors, l’efficacité du vote est relativisée ce qui permet l’augmentation de l’abstention. l’élection présidentielle de 2002 est révélatrice de ce phénomène puisque des sondages réalisés en février 2002 montrent que plus du tiers des français  ont l’intention de s’abstenir car les hommes politiques une fois élus ne teindront pas leurs promesses. La crise de confiance envers les gouvernants et le discrédit à l’encontre des hommes politiques ont pesé de tous leurs poids. La réponse des abstentionnistes marque l’exacerbation d’un malaise à l’égard de la représentation politique. La longueur de la dernière cohabitation a également joué un rôle dans la mesure où elle a brouillé les différences potentielles entre les deux candidats principaux.
Cette forme de protestation devient alors aussi importante que l’utilisation du vote blanc.  On a ainsi comptabilisé 1 million de votes blancs au 1er tour soit 3, 4 % des votants et 2, 4 % des inscrits ; 1, 8 millions de votes blancs au second tour soit 5, 4 % des votants et 4, 3 % des inscrits. Le vote blanc devient un véritable vote exprimant l’incapacité des citoyens, qui désirent accomplir leur devoir civique, de trouver des candidats répondant à leurs aspirations. Dès lors, il devrait être comptabilisé au même titre que le vote pour un candidat défini. Cela est d’autant plus vrai que le pourcentage de vote blanc est calculé par rapport au nombre des inscrits et non par rapport au nombre de votants, ce qui conduirait à le faire sensiblement augmenter. De plus, l’électeur qui a voté blanc a pris le temps de mûrir son vote puisqu’il a dû insérer dans son enveloppe une feuille de papier blanc. La prise en compte du vote blanc permettrait non seulement de ne pas laisser de côté ceux qui ont exprimé une opinion (rejet de tous les candidats en présence) mais également de faire baisser le taux d’abstention (même s’il est vrai que les élections qui ont connu le plus fort taux d’abstention sont celles où le vote blanc était le plus faible). En fait, elle améliorerait la relation entre le pouvoir et la population et constituerait un excellent baromètre du degré de mécontentement du corps électoral. Cantonné à un faible niveau, le taux d’abstention indiquerait que les électeurs se reconnaissent dans la classe politique. A l’inverse, s’il atteint un score élevé, il signalerait l’existence d’un malaise chez des électeurs qui ne rejettent pas le cadre républicain puisqu’ils se rendent encore aux urnes. Ainsi, les hommes politiques seraient mieux informés de l’état de l’opinion et pourrait mieux prendre en compte ses aspirations au lieu de laisser dans l’ombre tous ceux qui ont choisi d’exprimer une opinion qui ne figure sur aucun bulletin de vote. Cependant, le refus de la prise en compte du vote blanc s’explique par le rattachement à une certaine conception du suffrage selon laquelle celui-ci a pour finalité d’arrêter une désignation, en cas d’élection, ou une décision, dans le cadre d’un référendum. Pour parvenir à ce résultat, les règles qui le régissent doivent favoriser la constitution de majorités positives. La prise en compte du vote blanc est dans cette optique jugée dangereuse. On craint que l’augmentation du vote blanc aboutisse à la formation de majorités négatives et mette en cause la finalité de l’élection. cette conception repose sur une vision utilitariste du droit de vote. Or, celui-ci doit permettre aux citoyens d’exprimer leurs opinions fussent elles contestataires. Alors que la prise en compte des votes blancs dans les suffrages exprimés pourrait permettre de mieux identifier la volonté des électeurs, de diminuer l’abstention et de détourner un certain nombre d’électeurs du vote extrémiste, les opposants à cette disposition invoquent un risque de blocage des institutions. Ils prétendent que l’on risquerait de se trouver dans une impasse juridique, dans l’hypothèse, peu probable, où le nombre de bulletins blancs représenterait la majorité absolue des suffrages au 1er tour ou la majorité relative au second. Ils affirment alors qu’aucun candidat ne pourrait être proclamé vainqueur. Cet argument ne semble pas pertinent car si les bulletins blancs représentent majorité absolue des suffrages exprimés au 1er tour, il sera procédé à un second tour. Au second tour, quelque soit l’importance du vote blanc, le candidat qui aura obtenu le plus de suffrages sera élu. La seule véritable difficulté concerne l’élection présidentielle car l’article 7 de la Constitution prévoit que le Président doit être élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. Or, si les bulletins blancs entrent dans le décompte des suffrages exprimés, il peut arriver qu’au second tour aucun candidat n’obtienne la majorité absolue. Mais, cette difficulté peut être aisément contournée par une révision de la Constitution pour prévoir qu’au second tour la majorité relative suffit. La reconnaissance du vote blanc semble donc aujourd’hui légitime et opportune. L’abstention, la désaffection des citoyens à l’égard des institutions représentatives sont des facteurs qui en appellent l’instauration.       
Un autre moyen de réduire l’abstention consisterait à introduire un vote obligatoire. La question d’un vote obligatoire s’est plusieurs fois posée dans notre pays, de nombreuses propositions de loi sont déposées par les parlementaires (notamment une proposition déposée par Laurent Fabius ). La difficulté vient du fait que dans notre pays, tout citoyen est libre ou de donner son avis dans la gestion des affaires publiques, ou de ne pas l’exprimer ou même de ne pas en avoir. Le vote obligatoire le priverait d’une liberté que le citoyen a toujours connu. Dès lors, pour restreindre son indépendance et transformer le droit de vote en une obligation légale pour diminuer le nombre de ceux qui se désintéressent de la vie politique, il faudrait que la communauté nationale ait un intérêt à ce que les abstentionnistes votent. L’introduction du vote obligatoire ne soulève aucune difficulté au regard de la Constitution et des principes démocratiques. Il apparaît même que le vote obligatoire permettrait d’assurer la pleine sincérité des consultations électorales car les candidats seraient élus par une fraction importante du corps électoral. L’introduction du vote obligatoire, outre qu’elle réduirait l’abstention favoriserait également les partis modérés dont les électeurs ont davantage tendance à s’abstenir que ceux des partis extrémistes. Pour autant, l’efficacité du vote obligatoire n’est pas avérée. En effet, si l’on regarde les exemples étrangers et notamment la Belgique qui connaît le vote obligatoire depuis l’instauration du suffrage universel en 1893, l’adoption d’une telle mesure nécessite l’introduction de sanctions adéquates (en Belgique amende de 25 à 50 euros en cas d’abstention de voter, en cas de récidive le montant de l’amende est porté de 50 à 125 euros. La récidive ne concerne que les élections de même nature. Un électeur qui s’abstient successivement aux élections législatives puis municipales ne sera donc pas considéré comme récidiviste ce qui atténue considérablement l’impact de la sanction). Or, les abstentionnistes sont rarement sanctionnés même s’ils ne représentent que 5% des inscrits. Ce défaut de sanction représente l’un des arguments majeurs des détracteurs du vote obligatoire. En conséquence, l’introduction du vote obligatoire dans notre pays devrait inévitablement s’accompagner de l’introduction de sanctions dissuasives à l’encontre des abstentionnistes. Ce n’est qu’à cette condition que l’on parviendrait à corriger la mauvaise habitude prise par les français. En définitive, le principal reproche que l’on peut faire au vote obligatoire c’est qu’il s’attaque davantage aux effets qu’aux causes de l’abstentionnisme électoral. En aucun cas, ce vote obligatoire n’est une solution définitive, il doit seulement permettre de préparer le citoyen à réexercer librement ses responsabilités. C’est pourquoi, il faut utiliser tous les moyens pour que la participation électorale redevienne rapidement un acte auquel les français adhèrent naturellement. C’est en réalité un état d’esprit nouveau qu’il s’agit de créer.      
Face à cette non-participation croissante des citoyens aux diverses élections périodiquement organisées, il semble alors difficile de définir les raisons qui peuvent encore pousser ceux qui votent à continuer de le faire. Pourtant, il existe plusieurs sources de motivation qui conduisent les citoyens à exercer leur droit de vote qui apparaît alors comme l’expression de préférences politiques.

b – Le vote, expression de préférences politiques
Toutes les enquêtes qui ont été réalisées dans l’opinion montrent que la très grande majorité de la population ne s’intéresse pas à la politique. Leur intérêt pour la politique ne s’accroît qu’en cas d’élection présidentielle et lorsque la situation économique se détériore. Pourtant, bon nombre de citoyens, malgré ce désintérêt, se rendent aux urnes.

1 – Les raisons de la participation
Plusieurs explications ont été avancées pour comprendre la participation électorale. Tout d’abord, les sociologues ont essayé d’analyser la participation électorale à travers un bilan coût/avantage en considérant le coût physique du vote (nécessité de déplacer, inscription sur les listes électorale) et l’avantage que l’électeur peut retirer de son vote (victoire de l’un ou l’autre camp en présence). Les résultats ont été assez décevants car si les coûts sont très faibles, les avantages sont quasi nuls, d’autant plus que la probabilité qu’un vote fasse la différence parmi des millions est infime. Même si l’électeur peut espérer ou craindre une évolution significative de sa situation personnelle de par le résultat de l’élection, sa capacité personnelle à influencer ce résultat par son vote est insignifiante. Rationnellement, tout le monde devrait donc s’abstenir car personne, de façon individuelle, ne peut espérer exercer une influence déterminante sur l’issue du scrutin.
L’explication par le bilan coût/avantage reposant sur ces seules données ne semble donc pas satisfaisante. D’autres paramètres peuvent être introduits qui permettent d’aboutir à une meilleure analyse de la participation électorale. Tout d’abord, en ce qui concerne les avantages, pour les électeurs qui s’intéressent un peu à la politique  la satisfaction est évidente : ils participent à une activité qui les intéresse. Pour un certain nombre d’entre eux, ils ne se contentent d’ailleurs pas de voter à toutes les élections mais discutent fréquemment de politique et éventuellement adhérent à un parti politique, devenant un citoyen actif. Le degré de l’intérêt pour la politique, plus fort dans les milieux favorisés par le niveau d’instruction et la fortune, est un facteur puissant d’explication du degré de la participation. Ce premier facteur de satisfaction que l’électeur peut retirer de son vote explique fortement la structure sociologique de la participation mais absolument pas l’évolution dans le temps de la participation électorale et son recul depuis les années 80. En revanche, le facteur de satisfaction tenant à l’accomplissement du devoir civique peut expliquer ce recul.
Voter est assimilé à un devoir civique, s’abstenir est présenté comme un signe d’indifférence voire comme une faute à l’égard de la démocratie.  L’acte de vote est présenté comme une obligation morale (ex : les spots de publicité expliquant que voter est un droit mais que c’est aussi un devoir). Or, la grande mutation culturelle qu’ont connu les pays développés depuis la fin des années 60 s’est accompagnée de l’affaiblissement de l’adhésion à toutes sortes de normes sociales et du respect porté à de nombreuses institutions. Le sens du devoir civique a été touché par ce phénomène, ce qui explique que ceux qui ne s’intéressaient pas à la politique mais allaient voter en raison de la satisfaction de ce devoir, ne le font plus et ont rejoint les abstentionnistes. Le sens du devoir civique peut également avoir été affecté par la multiplication des scandales qui frappent le monde politique. Cet affaiblissement du devoir civique va se poursuivre à court et moyen terme car il est un phénomène de génération et de mentalité (les générations moins civiques que les précédentes pèseront de plus en plus lourd dans le corps électoral). Cependant, il n’est pas certain que cette tendance soit irréversible. Tout dépendra de la capacité des élites politiques à donner le sentiment aux citoyens que le vote permet la satisfaction de certains avantages.
La théorie du bilan coût/avantage peut également être reformulée en ce qui concerne le coût du vote. Certes, l’aspect physique du vote (déplacement, inscription sur les listes) est important, mais il ne faut pas négliger un aspect psychologique. Celui-ci résulte de la nécessité de faire un choix parmi plusieurs candidats pour une majorité de citoyens qui ne s’intéressent pas à la politique, ce qui rend ce choix d’autant plus difficile. Effectuer un choix dans un domaine qui ne vous intéresse pas représente un effort non négligeable. Il faut se renseigner sur un sujet que l’on ne connaît pas et prendre une décision. Depuis une quarantaine d’années, le contexte du choix électoral a considérablement évolué. Auparavant, le contexte du choix était relativement simple. Les électeurs vivaient dans des milieux sociaux relativement clos où les informations et surtout les interprétations politiques des évènements étaient peu concurrentielles. Les discours des militants politiques ou des notables, qu’ils connaissaient souvent personnellement, étaient là pour guider les électeurs dans leur choix ; la fidélité à une étiquette partisane était un moyen puissant pour réduire le coût du choix. Mais les transformations de la société, les déplacements plus fréquents de personnes, la forte progression du niveau d’instruction, la domination des médias et notamment de la télévision, ont créé une situation nouvelle. L’électeur n’accepte plus les discours trop caricaturaux et trop manichéens, il exige une information plus objective, plus neutre. Mais cette information plus neutre lui fait alors prendre conscience de la complexité de la réalité politique ce qui augmente le coût du choix en le rendant plus difficile (la transparence de l’information ne rend pas la perception de la réalité politique plus facile).  Concrètement, aujourd’hui, même l’électeur le moins intéressé en sait trop pour se contenter de penser que parce qu’un homme politique est de gauche ou droit, il est bon ou mauvais. Cette indécision des électeurs se retrouve dans les sondages qui sont effectués avant les échéances électorales et qui montrent un pourcentage de plus en plus élevés de personnes qui déclarent choisir au dernier moment celui ou celle pour qui elles vont voter. 
Face à cette difficulté croissante à opérer un choix, résultat de la plus grande complexité de la réalité politique et des difficultés des partis politiques à la leur expliquer, les électeurs peuvent être conduits à adopter diverses attitudes pour réduire le coût du choix électoral. Une première stratégie de réduction du coût consiste à attendre le second tour de l’élection. Pour des électeurs peu polarisés sur un enjeu ou un parti, il est nettement moins difficile d’avoir à choisir entre deux candidats qu’entre huit ou neuf. A l’inverse, pour les électeurs fortement polarisés sur un enjeu ou un parti, la choix s’avère facile au premier tour et peut être plus compliqué au second tour si le parti qui représente le mieux leurs idées n’est plus présent (la stratégie de ces électeurs se réduira alors à l’abstention).
Une autre stratégie de réduction des coûts consiste pour les électeurs à intervenir selon un vote prospectif, c’est-à-dire à juger les forces politiques et les candidats selon leur capacité à remplir la fonction pour laquelle ils concourent plutôt que de les apprécier sur leurs positions idéologiques (pour de nombreux électeurs il est en effet plus simple de savoir si le gouvernement a réussi à faire baisser le chômage que de savoir quelle est idéologiquement la bonne politique pour lutter contre le chômage). On retrouve ce phénomène dans l’analyse de l’élection présidentielle de 2002. En effet, les électeurs avaient été interrogés sur leurs préoccupations et avaient énoncé le chômage, l’insécurité et la lutte contre les inégalités sociales. Face à ces préoccupations, ils avaient classé les candidats selon leur capacité à résoudre ces difficultés. On a alors observé que seuls les candidats les plus connus et les plus médiatisés obtenaient des réponses positives et que nombre de citoyens interrogés considéraient qu’aucun candidat n’était en mesure de résoudre ces problèmes fondamentaux. De plus, les électeurs se positionnent aussi en fonction des propositions faites par les candidats et de leur croyance dans leur réalisation. Enfin, le jugement rétrospectif sur le bilan du candidat sortant est un élément fort du jugement prospectif porté par l’électeur sur les capacités comparées du sortant et de son concurrent. Le poids du jugement rétrospectif dans le jugement prospectif et la volonté de réduire le coût du choix électoral, peuvent pousser l’électeur à voter pour le candidat sortant s’il a le sentiment qu’il a fait correctement son travail et ce quelle que soit son étiquette politique. Ce phénomène s’est notamment produit lors de l’élection présidentielle de 2002. En effet, moins de la moitié des électeurs français considérait que Jospin avait l’étoffe d’un Président de la République tandis que les trois quarts attribuaient cette qualité à Chirac. Ainsi, un Président de la République, même amoindri par la cohabitation et par un climat difficile lié aux affaires est sans doute entouré d’un charisme présidentiel lié à sa fonction. Un président sortant bénéficie donc d’une très importante prime liée à sa fonction. 
La participation électorale résulte donc d’un choix de l’électeur qui repose sur la combinaison de plusieurs données. Dès lors que le citoyen se rend aux urnes et participe à l’élection, son bulletin de vote exprime des préférences politiques.

2 – L’expression des préférences politiques
Choisir un des candidats ou une des listes qui s’affrontent lors d’une élection, c’est exprimer en pratique une préférence. En déposant son bulletin dans l’urne, l’électeur prend parti face aux multiples choix qui lui sont proposés. Les études menées dans tous les pays où des possibilités de choix sont offertes aux électeurs montrent qu’il existe des corrélations entre l’appartenance à une catégorie socioprofessionnelle et les préférences politiques. D’une manière générale, le vote pour les partis conservateurs domine dans des groupes qui correspondent à des fonctions lucratives et socialement valorisées : patrons de l’industrie et du commerce, cadres supérieurs, médecins, avocats… Inversement, le vote pour des candidats ou des partis qui prônent le changement social, domine dans des groupes constitués de professions peu valorisées, assurant des revenus plus faibles et n’exigeant pas la possession de diplômes universitaires (ouvriers, employés les moins favorisés du secteur public).  Tout se passe donc comme si la probabilité qu’un individu vote pour des candidats conservateurs augmentait en fonction de l’ampleur de ses revenus, de l’importance de son patrimoine et des diplômes qu’il a obtenus. Cette affirmation, même si elle est exacte, n’en est pas moins simplifiée à l’extrême. Jusqu’aux élections législatives de 1978 le positionnement des électeurs entre la droite et la gauche était étroitement corrélé avec l’appartenance à une catégorie socioprofessionnelle. De même, les élections les plus récentes confirment que les artisans, commerçants, chefs d’entreprise et agriculteurs restent favorables à la droite (2/3 d’entre eux votent pour les candidats RPR et UDF). De son côté, le vote des professeurs et des instituteurs reste également orienté à gauche, même s’il s’ouvre à des candidatures écologistes. Pourtant, d’autres corrélations semblent être remise en cause. A ce titre, le vote des ouvriers en faveur du PCF s’est atténué pour finalement quasiment disparaître entre 1993 et 2002. Ce sont les écologistes et surtout l’extrême droite et l’extrême gauche qui profitent de cette modification. Ainsi, en 2002, à l’élection présidentielle, bon nombres d’électeurs communistes ont reporté leurs suffrages sur les candidats d’extrême gauche. En effet, Robert Hue n’a obtenu que 960 480 voix (soit 3,77 %) ce qui marque un recul très net par rapport à l’élection présidentielle de 1995 (2632460 voix soit 8,6 %) et pourrait faire penser que le vote ouvrier a totalement disparu. En fait, il n’en est rien, ce vote s’est simplement reporté sur d’autres candidats, de sorte que si l’on ajoute les voix obtenues par tous les candidats d’extrême gauche (Arlette Laguiller : 1630045 soit 5, 72 % ; Olivier Besancenot : 1210562 soit 4,25 % ; Daniel Gluckstein : 132686 soit 0,47 %) aux suffrages de Robert Hue, on obtient sensiblement le même score que ce candidat et Arlette Laguiller avaient fait en 1995 ( Hue + Laguiller en 1995 = 4248012 voix et Hue + Laguiller + Besancenot + Gluckstein en 2002 = 3933773 voix). La déperdition de 300000 voix provient d’une autre nouvelle particularité du vote ouvrier qui consisté désormais à aller vers l’extrême droite. Si l’on analyse ces données, on constate que les électeurs traditionnels du PCF ont considéré que la participation des communistes au gouvernement pendant les 5 années précédentes n'avait pas profité à la classe ouvrière. Ils ont donc sanctionné l’attitude de ce parti et reporté leurs suffrages sur des candidats qui semblaient mieux à même d’exercer une véritable protestation contre la politique menée. C’est en fait l’abandon par le PCF de sa philosophie de parti protestataire pour devenir un parti de gouvernement qui lui a coûté son électorat.         
En fait, il convient donc d’aller au-delà de la stricte corrélation entre la catégorie socioprofessionnelle et l’appartenance politique pour dresser le portrait type des électeurs de droite comme de gauche. Une première constatation a été fréquemment faite : la position de non-salarié, qui correspond en particulier aux professions d’agriculteurs, d’artisans, de membres d’une profession libérale et qui caractérise aussi les inactifs, apparaît généralement liée au vote de droite (l’inverse n’est pas vérifié puisque les certains salariés comme les cadres supérieurs ou les ingénieurs votent majoritairement à droite). Ce constat permet de mettre en évidence la relation des individus au travail. Dans la mesure où il implique l’indépendance ou la dépendance à l’égard d’un patron, le rapport au travail semble déterminer l’attachement aux valeurs de droite ou de gauche. Ainsi, les petits commerçants, dont le statut social est pourtant médiocre votent massivement à droite. A l’inverse, si les salariés, même quand ils sont dotés d’un important capital culturel (professeurs) votent plutôt à gauche, il convient de prendre en compte leur position dans l’entreprise, le type d’entreprise dans laquelle ils travaillent (les employés de bureau votent plus à gauche) et la permanence d’attitudes acquises dans leur milieu social d’origine (les fils d’ouvriers, même s’ils ne sont pas eux-mêmes ouvriers, continuent majoritairement à voter à gauche).
La détermination du vote par l’appartenance à une catégorie socioprofessionnelle passe donc par des mécanismes très complexes, tels que le rapport au travail, les croyances acquises dans un contexte antérieur, la cohérence du groupe d’appartenance ou le degré d’identification des individus aux valeurs qui prédominent dans le groupe dont ils relèvent. Cependant, la détermination ne s’exerce pas de façon mécanique. Ce n’est pas parce qu’ils subiraient les effets de leur position professionnelle que les patrons votent en général plutôt à droite ; c’est parce qu’ils ont intériorisé les croyances en vigueur dans leur milieu social ; c’est parce qu’ils ont reçu une éducation particulière et ont appris à se différencier par rapport à d’autres groupes sociaux. La détermination du vote par l’appartenance au groupe socioprofessionnel et plus largement à une classe sociale suppose donc une identification à ce groupe ou à cette classe. Cette identification n’est que partiellement volontaire, elle résulte d’un processus de construction de la personnalité. En réalité, la détermination de catégorie sociale suppose que les individus aient reçu et assimilé un système de représentations qui fonctionne pour chacun d’entre eux comme un cadre d’évaluation des rapports politiques, de la hiérarchie des positions sociales, des conduites adaptées aux problèmes qui se posent dans la vie quotidienne. Ces représentations, inséparables de la situation socioprofessionnelle expliquent certaines attitudes dans la sphère privée comme dans le comportement électoral.
L’appartenance à une catégorie socioprofessionnelle joue donc un rôle déterminant dans l’explication des préférences politiques des électeurs. Cependant, d’autres éléments peuvent également être pris en compte. Ainsi, le sexe, l’âge et le lieu de résidence et la religion ont leur importance. En effet, pendant longtemps, les femmes ont moins été enclines à voter à gauche(aujourd’hui, hommes et femmes se répartissent de façon égale entre la gauche et la droite, les femmes demeurant plus réticentes à voter pour les extrêmes). De même, plus l’âge augmente et plus on constate une propension à voter à droite ou au centre. Enfin, le lieu de résidence et la religion ne sont pas étrangers au comportement électoral. Dans son ouvrage, Tableau politique de la France de l’Ouest sous la IIIème République (1913), André Siegfried a montré que la nature du sol, le mode d’habitat, le régime de propriété liés avec les croyances religieuses peuvent expliquer le comportement électoral. Dans les zones granitiques d’habitat dispersé (pays de bocage) où domine la grande propriété associée à la petite exploitation fermiers, métayers), le catholicisme s’est maintenu plus longtemps, ce qui explique la prédominance du vote de droite. Dans les zones de calcaires où l’eau est plus rare conduisant à un habitat regroupé, vivent des petits propriétaires détachés de l’Eglise et qui sont des bastions de la gauche. Au-delà de la résidence, André Siegfried avait en fait montré que l’appartenance religieuse est un facteur explicatif puissant du vote. Les catholiques pratiquants ont toujours majoritairement voté à droite. A statut socioprofessionnel et âges identiques, les catholiques pratiquants votent plus à droite que les autres électeurs. Inversement, des individus sans religion ont davantage tendance à voter à gauche.                                                             
Le postulat selon lequel les choix des électeurs résultent d’opinions individuellement et rationnellement motivées peut donc être infirmé. L’appartenance à un groupe social soudé par un ensemble d’intérêts cohérents a conduit à relativiser à l’extrême la part des choix personnels dans l’acte de vote. En outre, les développements précédents montrent qu’il s’avère impossible d’expliquer le comportement électoral en ne prenant en considération qu’une seule donnée. Certes la catégorie socioprofessionnelle joue un rôle majeur, mais d’autres variables interviennent de sorte qu’il est parfois difficile d’interpréter les résultats obtenus à une élection. De plus, il n’est pas facile de repérer des électeurs qui, d’élections en élections, expriment toujours les mêmes préférences politiques. Touts ces éléments rendent parfois difficile l’explication des résultats électoraux. Par exemple, la lecture des différents commentaires concernant les résultats de l’élection présidentielle de 2002 permet de tirer plusieurs enseignements de cette élection. Ainsi, il semble que la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour indique une progression de l’électorat d’extrême droite. Dans le même ordre d’idée, on a beaucoup lu que le vote en faveur d’Arlette Laguiller avait considérablement augmenté puisqu’elle a obtenu 5,72 % des voix en 2002 contre 5,3 % des voix à l’élection présidentielle de 1995. De plus, il n’est pas juste de dire que Lionel Jospin a subi un véritable désaveu si l’on ne mentionne pas la perte de voix subie par le président sortant entre 1995 et 2002. En effet, il est vrai que le Premier ministre a subi une nette érosion des voix entre les deux élections présidentielles de 1995 et 2002 (1995 : 7097786, 2002 : 4610113 soit une perte de 2487673 voix) sanctionnant certainement sa politique. Mais, ce désaveu n’est pas propre à Lionel Jospin, il a également touché le Président sortant (1995 : 6348375 ; 2002 : 5665855 soit une perte de 682520 voix) qui frôle le score le plus bas obtenu par un futur candidat au second tour à l’élection présidentielle (Alain Poher, 1er tour de l’élection de 1969 avec 5268651). Le score de J. Chirac est d’autant plus mauvais qu’en 1995, il avait obtenu 6348375 voix alors qu’Edouard Balladur (très proche sur l’échiquier politique) avait obtenu 5658796. Ce sont donc les deux têtes de l’exécutif qui ont vu leur score s’effriter, de sorte que l’on peut dire qu’il y a un désaveu qui concerne les dirigeants dans leur ensemble (il est à cet égard logique que le Premier ministre soit plus atteint puisque c’est lui qui a conduit la politique de la nation pendant les 5 années précédant l’élection présidentielle). Cette affirmation est corroborée si l’on compare les chiffres de plusieurs élections présidentielles. Ainsi, alors qu’en 1988, Mitterrand et Chirac totalisaient 53% des voix, qu’en 1995, Balladur pourtant présent, Chirac et Jospin totalisaient encore 43% des voix, en 2002, les deux hommes sont réduits à 35% de l’électorat. l’un et l’autre sont touchés par un mécanisme d’indifférenciation politique (les électeurs considérant que les différences entre eux sont faibles), par le rejet de la classe politique, par l’absence de thèmes mobilisateurs. Ce constat est encore accentué si l’on tient compte du fait que le vote protestataire (extrême gauche et extrême droite) tend à se développer.
Parallèlement, affirmer que l’électorat d’Arlette Laguiller a augmenté n’est pas tout à fait exact. Certes, son score s’est amélioré mais en voix elle ne fait au final que 14493 voix supplémentaires (1995 : 1615552 ; 2002 : 1630045) ce qui représente une amélioration de 0,88 % de son électorat. Or, compte tenu de l’évolution du nombre des inscrits qui a été plus rapide (augmentation de 3,5 % soit 1171156 électeurs inscrits supplémentaires), on pourrait même dire qu’elle a en réalité perdu des voix. Sans aller jusqu’à cette extrémité, il n’est néanmoins pas exact d’affirmer que le poids du vote Laguiller est plus important qu’en 1995. C’est en fait, l’extrême gauche dans sa globalité qui voit ses résultats électoraux augmenter, même si cela ne se voit pas d’emblée en raison de la dispersion des candidatures (Laguiller, Besancenot et Gluckstein). Les résultats des élections régionales permettent d’ailleurs de relativiser cette progression de l’extrême gauche puisque, malgré l’union de Lutte ouvrière et de la Ligue communiste révolutionnaire, aucune liste n’est parvenu à obtenir des élus dans les conseils régionaux (contrairement à ce qui s’était passé lors des précédentes élections régionales de 1998). 
Quant au vote Le Pen, il convient de relativiser considérablement sa progression. En effet, à cette élection il a obtenu 4804713 voix soit 16,86 % des suffrages exprimés alors qu’en 1995 il n’avait réalisé que 15 % des suffrages représentant 4570838 voix. Il a donc vu son électorat progresser de 233875 voix ce qui n’est finalement pas grand chose compte tenu de la progression du nombre des inscrits (+ 3,5 %). En fait, il dispose d’un électorat très motivé et a surtout profité de l’éparpillement des voix disséminées sur les 16 candidats en lice et notamment entre tous les candidats de gauche et d’extrême gauche (cet émiettement fait que le peuple de gauche, qui représente près de 43% des suffrages se retrouve sans candidat au second tour). Ce n’est donc qu’un concours de circonstance qui lui a permis d’être au second tour de l’élection présidentielle de 2002 et non la manifestation de sa progression fulgurante. Cette constatation demeure valable même si l’on ajoute aux voix de Le Pen une partie de celles obtenues par Bruno Mégret, qui défend des idées similaires (il n’est pas possible de faire une addition pure et simple des scores obtenus par ces deux candidats car tous les électeurs de Mégret ne se retrouvent pas dans le personnage Le Pen mais préfèrent des candidats comme Madelin ou Saint Josse). La faible progression du vote d’extrême droite se manifeste également dans les résultats du second tour. En effet, le candidat Le Pen n’a obtenu que 5525032 voix (soit 17,79 % des suffrages exprimés). Entre les deux tours il donc progressé de 720319 voix ce qui correspond à un report d’une partie des voix de Bruno Mégret, de Madelin et de Jean Saint Josse. En fait, l’extrême droite dispose, pour l’instant, d’un nombre défini de voix qui n’est pas susceptible de s’accroître pour permettre à un de ses candidats de l’emporter. Cette affirmation est corroborée par les résultats des élections régionales de mars 2004. En effet, même dans les régions où le Front national est fortement implanté, il n’a pas réussi à enlever la région (ex : Paca où la liste FN ne finit que 3ème, derrière celle de l’UMP). En fait, il se trouve dans l’impossibilité de passer de la protestation exprimée au 1er tour des différentes élections au rassemblement nécessaire à la victoire au second tour. Ainsi, l’extreme-droite reste électoralement enclavée. Plusieurs raisons expliquent cette situation. Tout d’abord, une partie de l’électorat Le Pen du 1er tour, parès avoir exprimé sa protestation, reprend son vote pour le donner au second tour à un candidat plus modéré. Ensuite, le report des autres électorats sur celui du front national est très faible. En définitive, la participation de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002 n’est donc en fait que le résultat d’un concours de circonstances qui n’appelle pas tous les commentaires qui en ont été faits. En revanche, l’absence de participation électorale résultant de l’abstention ou du défaut d’inscription sur les listes électorales, l’importance du vote blanc et le nombre trop élevé de candidats sont les véritables points forts de ce scrutin qui mériteraient une analyse en profondeur de la part des politistes et de la classe politique.          
En outre, la participation électorale est également fonction de l’offre qui est faite aux électeurs. En effet, la participation politique ne peut pas être analysée du seul point de vue de l’électeur mais doit également être étudiée sous l’angle du candidat et de l’élu.

b – La distance entre les candidats, les élus et les électeurs
1 – La sélection des candidats
Comment devient-on candidat ? A cette question, on serait tenté de répondre « parce qu’on le veut ». mais il ne suffit pas de le vouloir. Il faut encore franchir un certain nombre de barrières. En effet, pour devenir candidat à une élection politique, il existe une sélection qui peut être nationale ou locale, ouverte ou fermée.
En France, pendant longtemps la sélection des candidats aux élections législatives est restée une affaire de notables locaux, surtout à droite. Seul échappait totalement à ce localisme, le parti communiste qui veillait d’ailleurs avec soin à éviter que ses maires soient candidats aux élections législatives. Avec l’avènement de la Vème République, la bipolarisation progressive de la vie politique et la restructuration des partis, la discipline nationale a peu à peu pris le pas sur l’auto-candidature locale. Les députés indépendants ou hostiles à la toute puissance des états-majors parisiens ont dû rentrer dans le rang en acceptant de se voir soumettre ou opposer des candidats parachutés du sommet. L’habitude a été donnée par le parti gaulliste qui, dans cette stratégie centralisée et disciplinée, bénéficiait des atouts que confèrent la détention du pouvoir et l’autorité d’une personnalité charismatique. Grâce à l’appui d’un électorat lassé de l’instabilité gouvernementale et de l’indiscipline parlementaire, les députés ont pris conscience que la personnalisation du vote déclinait au profit de la nationalisation de la vie politique. Les partis politiques ont donc réussi à imposer leurs candidats. Les candidats non-officiels, c’est-à-dire qui ne sont pas soutenus par un parti politique, ont très peut de chances de l’emporter, même si de temps à autre le localisme se manifeste encore par le rejet du parachuté et la préférence pour le dissident local.
Toutefois, la prédominance des partis politiques parisiens dans la désignation des candidats n’a pas fait disparaître totalement le localisme. En effet, le plus souvent, les partis entérinent des situations locales. Ce n’est qu’en cas de conflits locaux ou de dissidence que les instances centrales des partis sont amenées à trancher et à imposer leurs candidats.
La nationalisation et la centralisation sont encore plus nettes dans le processus de détermination des candidats présidentiels, surtout depuis la réforme du 18 juin 1976 visant à écarter les candidatures fantaisistes par des règles plus strictes de parrainage. En revanche, les candidatures aux élections sénatoriales restent presque totalement du domaine local. Certes, les candidats possèdent généralement une étiquette partisane et les organisations nationales ne peuvent se désintéresser des enjeux de telles élections. Mais, la sélection des candidatures et les chances de succès répondent davantage aux règles du microcosme local qu’aux stratégies nationales des partis. Enfin, il est bien évident que pour les élections locales (municipales, départementales et régionales), les partis politiques jouent un rôle important dans la désignation des têtes de liste. En revanche, pour la composition du reste de la liste, ils s’en remettent le plus souvent aux instances locales des partis et aux candidats implantés localement qui connaissent la population et les personnes susceptibles d’être intéressées par une candidature.
La sélection des candidats obéit donc à une logique grandement centralisatrice grâce à l’emprise exercée par les organes centraux des partis politiques. Cette situation restreint donc considérablement la liberté de candidature. Celle-ci est également limitée par le caractère plus ou moins ouvert de la sélection des candidats. Elle dépend de multiples facteurs comme les procédures formelles de choix des candidats et les processus politiques et sociaux intervenus en amont de la sélection proprement dite.
Presque partout, sauf aux Etats-Unis (système des primaires à l’intérieur de chaque parti pour sélectionner les candidats) les conditions formelles de candidature sont peu restrictives. La principale règle formelle de sélection est l’appartenance au parti, encore que souvent les organisations partisanes recrutent en dehors de leur appareil militant, soit pour améliorer leur image de marque soit pour élargir le vivier de leur recrutement. Ce fut le cas des gaullistes qui après avoir recruté de nombreux ministres au sein de la haute fonction publique les parachutèrent dans des circonscriptions, grâce à la notoriété nationale qu’ils avaient acquise. Cependant, le peu de procédures formelles mises en place par les partis politiques cache une réalité plus fondamentale : la sélection des candidats s’est déjà largement opérée en amont, à l’intérieur des partis, et les combats visibles sur la scène politique ne sont que le couronnement de processus d’élimination plus souterrains.
Ces processus sont pour une part de nature politique. On peut d’abord relever que la compétition, au moins dans les grands partis, est réservée à une petite fractions de citoyens, celle des électeurs-militants de la formation politique. Autrement dit, si l’élection au Parlement entraîne souvent la spécialisation politique des élus, bien souvent celle-ci est précédée d’une quasi professionnalisation partisane ou politique (le nombre de députés sans expérience partisane antérieure tend à diminuer alors que de plus en plus de parlementaires ont exercé une fonction dans le parti avant d’accéder au Parlement).
Réservé pour l’essentiel aux militants, le processus de sélection est également plus ou moins compétitif selon les modalités de l’élection et le rapport de forces électoral. Par exemple, en France en 1986, la lutte pour la candidature aux élections législatives (représentation proportionnelle donc scrutin de liste) était double : être placé sur la liste du parti mais aussi être dans une position d’éligibilité compte tenu du nombre de candidats que le parti peut espérer faire élire dans la circonscription. On constate un phénomène analogue lorsque l’élection a lieu au scrutin majoritaire uninominal. La compétition est d’autant moins rude que les chances d’un parti X d’emporter le siège sont faibles.
Le rôle des organisations partisanes peut encore être illustré par une troisième dimension : il s’agit de la présentation de candidat dont les chances d’être sélectionnés sont faibles compte tenu des pesanteurs politiques et sociologiques. Il s’agit alors pour les partis politiques d’améliorer leur image de marque et de toucher de nouveaux électeurs. On peut citer le cas du PCF qui a veillé à la composition ouvrière de sa représentation parlementaire afin de bien montrer qu’il est le parti de la classe ouvrière, le profil sociologique de ses candidats devant refléter cette situation. Les autres partis ont été moins touchés par cette recherche d’une meilleure représentativité. Cependant, sous l’impulsion de minorités raciales, ethniques, féministes ou écologistes, les partis ont coopté des candidats capables d’attirer des fragments de l’électorat peu séduits par les partis et les candidats traditionnels. En France, le Conseil constitutionnel a dû déclarer contraire à la Constitution l’introduction de quotas par sexe sur les listes de candidats aux élections municipales (d’où la nécessaire révision de la Constitution du 25 juin 1999).
Enfin, la sélection en amont des procédures officielles est aussi sociale. L’importance de la position de parlementaire explique que la candidature à cette fonction exige des qualités jugées indispensables soit par les partis, les candidats eux-mêmes ou encore les militants et l’électorat. Car, à la différence des partis ouvriers qui cherchent à identifier le représentant et le représenté, la plupart des formations politiques et des électeurs ont une conception quasi hiérarchique de la représentation politique. Le représentant doit avoir des qualités et des compétences qui le rendent digne d’être désigné.
Tous ces éléments permettent de dire que la route est donc longue pour les candidats à la candidature et qu’il n’y a guère de place pour les non-militants. Au surplus, parmi les militants, seuls un petit nombre d’entre eux peuvent espérer être désignés comme candidats par les instances dirigeantes du parti. Enfin, lorsque tous ces obstacles sont surmontés, il faut partir en campagne afin de remporter l’élection et d’accéder au statut d’élu.

2 – portrait de l’élu
A cet égard, il est possible de dresser un portrait type de l’élu à l’Assemblée nationale. C’est un homme, d’âge mûr, appartenant aux classes moyennes, disposant d’un bon niveau d’éducation et devenant sans cesse davantage un professionnel de la politique. Rares sont les femmes parlementaires car malgré l’impulsion donnée par les mouvements féministes, la progression des femmes dans les assemblées parlementaires est quasi nulle. Toutefois, la révision constitutionnelle du 28 juin 1999 devrait, à terme, améliorer cet état de fait. En effet, désormais, l’article 3, alinéa 5, de la Constitution dispose que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ». La loi du 6 juin 2000 tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives prévoit que les partis doivent présenter autant de candidates que de candidats avec un écart maximum de 2% (ex : 51% d’hommes et 49% de femmes). Si tel n’est pas le cas et que les partis ne respectent pas cette obligation résultant autant de la loi que de l’article 4, alinéa2, de la Constitution (les partis politiques contribuent à la mise en œuvre du principe énoncé au dernier alinéa de l’article 3 dans les conditions déterminées par la loi), ils seront pénalisés financièrement (la part de la subvention versée par l’Etat aux partis politiques en fonction du nombre de parlementaires obtenus sera réduite en proportion de l’ampleur de l’écart (5% de crédits en moins pour un écart de 10%, 30% en moins pour un écart de 60% et jusqu’à 50% de réduction pour un parti qui ne présenterait que des hommes).
En fait, si l’on analyse les résultats des élections législatives de 2002, on constate que, malgré le dispositif constitutionnel et législatif, rien n’a vraiment changé. En effet, sur les 8456 candidats aux élections législatives (pour 577 places à l’Assemblée nationale) il y avait uniquement 3284 femmes ce qui représente 39 % de candidates à la députation. En réalité, loin de réparer une injustice, la loi du 6 juin 2000 sur la parité en a semble-t-il créé une nouvelle puisque les partis les plus riches sont ceux qui font le moins de place aux femmes parmi leurs candidats. Ainsi, l’UMP (union pour la majorité présidentielle) n’a présenté que 19% de candidates, elle verra donc sa subvention publique amputée de 4 millions d’euros par an (soit un manque à gagner de 16 %). De même, le PS, qui a présenté 36 % de candidates sera pénalisé à hauteur de 9 % le PCF sera pénalisé à hauteur de 4 %). Seuls Lutte Ouvrière, la Ligue Communiste Révolutionnaire et les verts atteignent l’équilibre parfait et échappent à l’amende (le FN a quasiment fait aussi bien puisqu’il a présenté 49 % de candidates). La lecture de ces chiffres permet de comprendre que les grands partis, qui cherchent à accéder au pouvoir, investissent peu de femmes alors que les petits partis ont des impératifs financiers et cherchent avant tout à éviter l’amende. En conséquence, les partis les mieux représentés à l’Assemblée nationale sont ceux qui sont le moins féminisés. Cet état de fait explique que si le nombre de candidates à la députation a plus que doublé depuis 1997, peu de femmes sont encore présentes à l’Assemblée nationale.
En effet, si cette révision constitutionnelle et cette loi imposent une égalité homme femme dans la présentation des candidats, elle ne garantit cependant pas que la parité soit acquise parmi les élus. En effet, elle se contente d’imposer la parité parmi les candidats et non parmi les élus. Elle n’a donc que très peu contribué à renforcer la présence des femmes à l’Assemblée nationale laquelle est aujourd’hui, à l’exception de la Grèce, la plus faible de tous les pays européens (12,3 % de femmes à l’Assemblée nationale actuellement en France contre 40% en Suède et 13% au Portugal). En fait, seuls neuf des nouveaux députés élus cette année sont des femmes, ce qui porte le contingent féminin à 71 députés. Maigre bilan pour une réforme présentée comme déterminante pour le paysage politique français. 
Quant à l’âge des élus au Parlement, on peut dire que dans la majorité des cas, il oscille entre 40 et 60 ans. Tant les citoyens les plus jeunes que très âgés sont exclus des assemblées. Si l’on prend en compte le niveau d’instruction des parlementaires, on s’aperçoit qu’il es fort différent de celui de la population qu’ils représentent. La plupart des parlementaires possèdent un diplôme universitaire avec une tendance à l’accentuation de ce phénomène. Dans les années 60, on observait une très nette différence entre les parlementaires de gauche, et notamment les communistes, qui avaient moins de diplômes et les parlementaires de droit. Aujourd’hui, on assiste à une homogénéisation du recrutement des parlementaires qui fait que le fossé se comble quant à la détention de diplômes.
Enfin, compte tenu du haut degré d’instruction des parlementaires, il n’est pas étonnant de constater leur appartenance aux catégories socioprofessionnelles les plus élevées. A cet égard, les travailleurs manuels sont les grands absents de la démocratie parlementaire occidentale. Il n’y a pratiquement pas d’exemples d’un passage direct de l’usine au Parlement. Au mieux, les parlementaires issus de cette classe sociale sont d’anciens permanents des syndicats ou des partis politiques. De plus, on assiste à un déclin continu des classes les plus élevées de la société et en particulier des aristocrates et de la grande bourgeoisie. L’essentiel des parlementaires se recrute dans les catégories sociales intermédiaires privilégiées (privilèges issus de l’argent, de la position sociale, la compétence ou du statut comme pour les fonctionnaires). Parmi les groupes dominants au Parlement, on peut mettre en évidence : les fonctionnaires et surtout les enseignants qui bénéficient de facilités statutaires, les industriels, commerçants et professions libérales (ce groupe est assez hétérogène mais il possède une caractéristique commune : l’autonomie économique) et les véritables professionnels de la politique (la professionnalisation accrue qui requiert des élus qu’ils consacrent tout leur temps à la politique explique que les hommes travaillant à temps plein pour les partis politiques sont de plus en plus nombreux à acquérir un mandat électif).
En conclusion, il faut également compléter le portrait du parlementaire français en notant que la majorité des membres de l’Assemblée nationale présente un lien au niveau local dû à un possible cumul des mandats même si la loi organique du 5 avril 2000 relative aux incompatibilités entre mandats électoraux prévoit que désormais le mandat parlementaire est incompatible avec l’exercice de plus d’un mandat électif local (conseiller régional, conseiller à l’assemblée de Corse, conseiller général, conseiller à l’assemblée de Paris, conseiller municipal d’une commune d’au moins 3500 habitants).   
Toutes ces considérations montrent qu’il est possible de dresser un portait type des élus français (que l’on retrouve d’ailleurs dans les autres pays européens). De façon générale, les électeurs désignent donc pour les représenter des hommes et des femmes qui ne leur ressemblent guère mais qu’ils jugent aptes à exercer ces fonctions. Si la désignation des élus et la participation électorale dépendent donc d’une alchimie entre les électeurs et les candidats, il ne faut pas négliger les aspects plus techniques du scrutin liés à l’organisation du droit de suffrage et des campagnes électorales et surtout aux modes de scrutin.         
Les modes de scrutin, définis comme les différentes techniques susceptibles d’être utilisées pour déterminer les candidats élus en fonction des suffrages exprimés par les électeurs, reposent sur une opposition fondamentale entre le scrutin majoritaire et la représentation proportionnelle.

c – L’impact des modes de scrutin sur la participation électorale
1 – le scrutin majoritaire
Le scrutin majoritaire consiste à attribuer les sièges aux candidats ayant obtenu le plus de voix. Lorsque le scrutin est à un tour, la majorité relative suffit ; lorsque le scrutin est à deux tours, la majorité absolue est exigée au premier tour. Dans ce cas, si aucun candidat n’obtient cette majorité au premier tour, il est alors procédé à un second tour pour lequel la majorité relative suffit. Ce scrutin majoritaire peut être un scrutin uninominal (lorsque la circonscription n’a qu’un siège à pourvoir) ou plurinominal (= scrutin de liste lorsque la circonscription comportent plusieurs sièges à pourvoir, les candidats peuvent alors être regroupés sur une même liste). Le scrutin majoritaire à un tour est le mode de scrutin de l’élection de la chambre des communes en Grande-Bretagne. Il conduit au bipartisme car il oblige l’électeur à immédiatement voter utile. Il valorise les deux formations les plus puissantes en favorisant la concentration des suffrages sur les deux principaux partis et en renforçant leur représentation en sièges (Grande-Bretagne).
Au total, il débouche sur une sur-représentation du parti majoritaire en voix (loi du cube : si le rapport des suffrages obtenus par deux partis est de A/B, le rapport des sièges est de A3/B3 ; les travaillistes en 1997 avec 43% des voix ont remporté plus de 63% des sièges), une sous-représentation du parti minoritaire et une quasi absence de représentation des autres partis politiques. C’est un mode de scrutin qui est donc particulièrement injuste car il ne reflète pas réellement le vote des électeurs. Cependant, il assure toujours l’émergence d’une majorité claire ce qui fait de lui un mode scrutin apte à fournir une stabilité gouvernementale. De ce fait, les deux partis dominants ont intérêt à ne pas remettre en cause ce mode de scrutin.
Le scrutin majoritaire uninominal à deux tours est celui des élections législatives et présidentielles en France. Il conduit au multipartisme tempéré corrigé par la bipolarisation puisque au premier tour, on choisit et au second tour, on élimine. Au premier tour, l’électeur peut voter pour le candidat de son choix en raison de la présence de multiples candidatures. Au second tour, si son candidat a été éliminé, il pourra voter pour le candidat le plus proche de ses préférences. Le vote utile n’a donc lieu qu’au second tour, pour lequel les partis en présence ont tout intérêt à se regrouper en coalition solide. En effet, ce mode de scrutin favorise le multipartisme « au centre » avec des alliances conclues entre les deux tours. Au premier tour, les partis politiques dispose de leur entière liberté pour présenter ou non des candidats. Au second tour, comme certains candidats ne peuvent pas se maintenir, des regroupements s’opèrent par affinités, regroupements qui ne sont pas les mêmes dans toutes les circonscriptions. L’intérêt est en effet d’aboutir entre partis à des accords de désistements réciproques et systématiques en faveur du candidat arrivé en tête au 1er tour. Les partis qui ne peuvent pas conclure des accords de candidature unique avant les élections ou des accords de désistement entre les deux tours sont marginalisés.
Comme le scrutin à un tour, il entraîne une sur-représentation du parti vainqueur et plus largement une sur-représentation des modérés et une sous-représentation des extrêmes. En effet, les partis situés aux extrémités de l’échiquier politique n’arrivent pas ou peu à former des alliances ce qui rend leur victoire au second tour beaucoup plus difficile (ex : les front national alors que les communistes et les verts, par leur alliance avec les socialistes, parviennent à obtenir des élus).   
Qu’il soit à un tour ou à deux tours, la caractéristique principale du scrutin majoritaire est l’injustice à laquelle il aboutit. En effet, le vainqueur empoche tous les sièges et ne laisse rien au vaincu. Par exemple, au second tour d’une élection celui qui obtient 50, 01% des voix est élu tandis que celui qui obtient 49,99% n’obtient rien. Dans ces conditions, des parts importantes de la population n’obtiennent pas de représentation ce qui peut mettre en danger les fondements même de la démocratie (par exemple, l’extrême droite représentée par le FN et le MNR a recueilli au premier tour des élections législatives de 2002 12, 4 % des suffrages exprimés soit 3.139.336 bulletins en sa faveur. Or, ces 3 millions d’électeurs n’ont aucune représentation dans la nouvelle Assemblée nationale). Néanmoins, il présente un avantage indéniable : celui d’assurer presque systématiquement une majorité et donc de garantir la stabilité de l’exécutif. En outre, il renforce le lien entre l’électeur et l’élu et permet la désignation des élus par les électeurs eux-mêmes et non par les états-majors des partis. 

2 – La représentation proportionnelle
Simple et démocratique en théorie, complexe et élitiste en pratique, la représentation proportionnelle est le système électoral qui, au lieu de réserver toute la représentation à la moitié plus un des électeurs, s’efforce d’assurer à chaque parti une représentation en rapport avec sa force numérique. Elle consiste à répartir les sièges à pourvoir proportionnellement au nombre de voix obtenues par chaque liste. Si dans une circonscription où il y a 5 sièges à pourvoir,  la liste A obtient 60% des suffrages et la liste B 40%, la première disposera de trois sièges et la seconde de deux sièges. Naturellement, en pratique, il est impossible de parvenir à une telle adéquation ce qui rend le calcul beaucoup plus complexe. Pour obtenir le nombre de sièges gagnés par chaque liste en présence, il faut réaliser une double opération consistant à attribuer les sièges de quotient puis les restes. Il faut tout d’abord établir le quotient électoral. Celui-ci correspond au rapport entre le nombre de suffrages exprimés (votants – les bulletins blancs ou nuls) et le nombre de sièges à pourvoir. Chaque liste obtiendra autant d’élus qu’elle contient de fois le quotient électoral dans son score. Cependant, comme les résultats ne tombent jamais justes, il faut ensuite attribuer les restes. Deux techniques existent : - la technique des plus forts restes attribue les sièges restants au parti qui a obtenu le plus grand nombre de voix inutilisées. C’est un système qui est favorable aux petits partis qui, sans parvenir au quotient électoral, peuvent réunir un nombre de voix qui représente un reste important.                         - la technique de la plus forte moyenne qui consiste à diviser, pour chaque parti, le nombre total de voix obtenues par le nombre total de sièges que chaque parti aurait, si on lui attribuait le siège restant. Le parti qui détient la plus forte moyenne reçoit le siège (la plus forte moyenne peut également être calculée grâce au système d’Hondt).
La représentation proportionnelle donne à toute formation politique un nombre d’élus correspondant à son importance dans le corps électoral. En ce sens, elle peut être comparée à une photographie de la circonscription. En conséquence, la RP assure une représentation complète de la majorité et de l’opposition (elle permet la représentation des partis minoritaires). C’est donc le procédé le plus juste. Cependant, par la chance qu’elle offre aux petits partis, elle tend à en multiplier le nombre de telle sorte qu’avec la RP, il est plus difficile de constituer des majorités cohérentes (il est très souvent nécessaire de réaliser des coalitions pour obtenir une majorité parlementaire de sorte que la constitution d’une majorité gouvernementale dépend souvent plus des tractations d’états-majors aux lendemains des élections que des résultats eux-mêmes) et stables.
A cet égard, elle contribue au multipartisme. Chaque parti se lance dans l’élection sans se soucier d’alliances éventuelles. De plus, ce scrutin renforce le poids de l’appareil dirigeant des partis politiques en renforçant la discipline de ses membres. En effet, pour ceux-ci, l’important est de se faire inscrire en bonne place sur la liste (afin d’avoir une chance d’être élu). Elle tend alors à rompre les liens entre les électeurs et les élus. En effet, lorsque les élus sont désignés ensemble dans le cadre d’une grande circonscription, aucun lien personnel ne se développe entre eux et leurs électeurs d’autant que le sort électoral de la plupart des élus n’est pas déterminé par les votes mais par leur position sur la liste présentée par leur parti (en revanche, dans le scrutin majoritaire uninominal, l’élection d’une seule personne et non d’une liste dans une circonscription relativement petite permet à l’élu d’entretenir de réelles relations avec ses électeurs). Enfin, les enseignements politiques du scrutin sont généralement moins visibles. Alors que la logique majoritaire amplifie l’impact en sièges des déplacements de voix et désigne clairement un vainqueur, les résultats d’élections à la RP n’offrent pas de contrastes aussi importants. La RP atténue les mouvements d’opinion de sorte que les gains enregistrés par certains partis ne bouleversent pas l’équilibre des forces au sein d’une assemblée parlementaire.
Si la représentation proportionnelle favorise la fragmentation politique, elle n’est pas toujours synonyme d’instabilité politique. Dans la mesure où les formations politiques se présentent chacune sous leurs propres couleurs et n’ont donc pas intérêt à s’allier avant l’élection qui ne possède qu’un tour, la représentation proportionnelle favorise la fragmentation. Pour autant, il n’y pas nécessairement instabilité et incapacité d’aboutir à une majorité absolue. L’exemple de la France avec les élections législatives de 1986 est frappant et vient contrebalancer l’instabilité qui existait sous la troisième et la quatrième République.

3 – Les scrutins mixtes
Enfin, à côté du scrutin majoritaire et de la RP, il existe des scrutins mixtes qui tentent de combiner les avantages des deux autres modes de scrutins. A ce titre, ils englobent à la fois RP et scrutins majoritaires. Un bon exemple est fourni par les élections municipales en France dans les communes de plus de 3500 habitants (dans les communes de moins de 3500 habitants, c’est un scrutin majoritaire). Il s’agit d’un système essentiellement majoritaire corrigé par une instillation de proportionnelle, à la plus forte moyenne, à deux tours sans panachage (les électeurs composent leur bulletin de vote à partir de noms figurant sur les différentes listes, élections municipales dans les communes de moins de 3500 habitants) ni vote préférentiel (qui permet de modifier l’ordre de présentation des candidats sur une liste, ce qui confère une certaine liberté à l’électeur par rapport aux choix effectués par les partis politiques). Au 1er tour, si une liste obtient la majorité absolue des voix, elle se voit attribuer la moitié des sièges, les autres sièges sont répartis à la RP à la PFM entre toutes les listes (y compris la liste victorieuse) ayant recueilli plus de 5% des suffrages exprimés. Si au 1er tour aucune liste n’obtient la majorité absolue, on organise un second tour auquel participe toutes les listes ayant obtenu plus de 10% des suffrages au 1er tour. La liste arrivée en tête au second tour obtient la moitié des sièges et participe à l’attribution des sièges restants.
Ce mode de scrutin a également été étendu aux élections régionales. Si une liste obtient la majorité absolue des suffrages exprimés au 1er tour, elle se voit attribuer le ¼ des sièges à pourvoir. Les autres sièges sont répartis entre toutes les listes ayant obtenu plus de 3% des suffrages exprimés à la RP à la PFM. Si aucune liste n’obtient la majorité absolue au 1er tour, on organise un second tour entre toutes les listes ayant recueilli plus de 5% des suffrages exprimés.
Ces deux exemples mettent en évidence les vertus du scrutin mixte puisque dans tous les cas une majorité stable sera assurée et que l’opposition aura droit de cité dans les conseils municipaux et régionaux.
Le choix du mode de scrutin n’est donc jamais innocent et reflète comme l’encadrement du vote et les efforts faits par la classe politique pour convaincre les citoyens de participer au vote, l’importance de l’élection dans la vie d’un régime démocratique. Au-delà du vote, la participation à la vie politique et sociale peut résulter d’une contestation du pouvoir et de ses choix. 

    B – La participation protestataire
Un groupe d’individus mobilisés apparaît au premier abord comme un ensemble agissant en fonction d’intérêts communs, à partir de motivations identiques et pour un objectif partagé par tous les membres du groupe. Se pose alors la question de savoir quelles sont les conditions de cette action collective, pourquoi à un instant T, plusieurs individus décident de s’assembler pour faire connaître leurs revendications ?

a - Les conditions de l’émergence d’une action collective
Chaque fois qu’existe un fort niveau de mécontentement et d’insatisfaction, une action collective n’apparaît pas pour autant. En fait, il faut obtenir la réunion de conditions spécifiques pour qu’un mouvement protestataire prenne forme : des antagonismes très forts et une prise de conscience des individus de la nécessité d’agir. 

1- L’existence d’antagonismes
Au sein de la société, l’existence de chaque individu est nécessairement reliée à celle des autres membres appartenant à la même société. En effet, exister socialement, c’est exister en face d’autrui et souvent même contre autrui. Par exemple, une personne qui obtient un emploi a nécessairement été recrutée de préférence à d’autres concurrents. De là naît une dynamique conflictuelle qui conduit les individus à calquer leurs aspirations sur celles de leurs semblables. La division du travail, la différenciation des tâches et des rôles, la répartition des biens, contribuent toujours à créer des inégalités et des insatisfactions. Les intérêts et les aspirations de chacun des membres de la société sont alors conditionnés par leur position au sein du champ social. Même si l’on sait que ce ne sont pas nécessairement les plus démunis économiquement qui contestent avec le plus de vigueur la hiérarchie des revenus, il est néanmoins vrai que des sphères d’intérêts propres apparaissent au sein de la société. Par exemple, tous les contribuables ne ressentent pas de la même manière le paiement de l’impôt. Des différences apparaissent non seulement entre les revenus faibles et les revenus élevés mais également entre les salariés et non salariés, de sorte que la politique fiscale du gouvernement est ressentie différemment selon la catégorie d’individus à laquelle on s’adresse. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la dynamique conflictuelle ne recoupe pas toujours les catégories sociales ou socio-professionnelles. Au sein même de certaines catégories peuvent apparaître des aspirations différentes. Par exemple tous les retraités ne vivent pas leur situation de manière identique. Les retraités de la fonction publique et ceux du petit commerce ou de l’agriculture, avec un passé socio-professionnel différent, ne partagent pas nécessairement les mêmes attentes. De plus, cette dynamique conflictuelle n’est jamais figée. En effet, une même personne occupe des positions différentes au sein du champ social tout au long de sa vie. A priori, elle peut espérer accroître son positionnement social au fil des années. Dès lors, ses intérêts et ses aspirations ne seront plus les mêmes, ce qui la conduira à s’associer avec d’autres membres de la société que ceux avec lesquels elle se sentait liée à l’origine.
A partir de ces éléments qui expliquent l’existence et la multitude d’intérêts antagonistes dans une société, on peut tenter d’opérer une classification de ces intérêts afin de comprendre les moteurs de l’action collective. Tout d’abord, on peut citer des antagonismes de frustration tels qu’ils ont été mis en évidence par James Davies et Ted Gurr. Pour eux l’émergence des mouvements collectifs trouve sa source dans un état de frustration qui engendre l’agressivité. Dans cette perspective, on assiste à une division de la société entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas. De là, naît un sentiment de convoitise et d’envie qui existe aussi bien à l’intérieur d’un pays qu’au niveau international entre les riches Etats du nord et les pauvres pays du sud. Ces frustrations concernent aussi bien les objets de consommation dont l’acquisition dépend du niveau de vie des individus que de biens plus immatériels tels que le savoir-faire, la compétence ou la bonne réputation.
Ensuite, on peut mettre en relief des antagonismes de dépendance qui apparaissent lorsque des individus ont à la fois des intérêts opposés et des avantages communs à préserver. Par exemple, au sein d’une entreprise, le patron souhaite obtenir un maximum de rendement pour une rémunération la moins élevée possible ; à l’inverse, le salarié souhaite obtenir la rémunération la plus avantageuse possible pour la réalisation de tâches les moins ardues possibles. Patrons et salariés ont donc des intérêts antagonistes. Toutefois, patron et salariés ont un intérêt commun : la survie et l’expansion de l’entreprise sans laquelle le patron ne fait plus de bénéfices et les salariés n’ont plus d’emplois. Les liens entre tous ces individus sont donc complexes et mêlent opposition et convergence d’intérêts. En réalité, entre ces individus, il existe une relation d’échanges mutuellement avantageuse. La naissance de conflits entre eux est par conséquent généralement circonscrite dans des limites compatibles avec le maintien de l’échange (même lorsque les salariés d’une entreprise font grève pour obtenir la satisfaction de leurs revendications, ils n’ont pas intérêt à la fermeture de l’entreprise, faute de quoi non seulement leurs aspirations ne seraient pas reconnues mais leur emploi serait perdu).
Enfin, dernier type d’antagonisme à avoir été identifié : les antagonismes de concurrence qui apparaissent partout où des individus sont en conflit pour l’acquisition des mêmes biens ou postes (opposition de candidats à une élection, concurrence pour l’obtention d’un emploi, concurrence entre des entreprises occupant le même créneau sur le marché…).
L’identification de ces antagonismes n’implique pas la réalisation systématique d’une action collective conflictuelle. Antagonismes et conflits d’intérêts demeurent latents si aucune prise de conscience collective ne s’opère concernant la réalité des intérêts spécifiques d’un groupe par rapport à ceux d’un autre groupe.

2- La prise de conscience de la nécessité d’une action collective
Cette prise de conscience peut se réaliser de façon plus ou moins rapide et spontanée. Dès l’enfance et tout au long de la vie, les individus apprennent à se situer dans la société et à identifier des convergences ou des divergences d’intérêts avec les autres membres de la société. Sur cette base, se construisent des groupes d’appartenance (in-groups) par opposition à l’extérieur (out-groups). Les nationaux s’opposent alors aux étrangers, les actifs s’opposent selon leur type d’activités ou de rémunération, les croyants se séparent des non-croyants….
D’une manière générale, il apparaît que les groupes les plus aptes à se mobiliser pour la défense de leurs intérêts ou d’une cause à laquelle ils s’identifient sont ceux qui sont déjà fortement structurés. En effet, toute mobilisation implique un minimum d’organisation de la part des membres du groupe. La densité des réseaux de relations qui structurent un groupe étendu et favorisent sa mobilisation éventuelle apparaît alors comme la 1ère condition de réalisation d’une action collective. Les principes de constitution de ces liens de solidarité sont extrêmement divers : relations familiales étendues à une parenté éloignée pouvant engendrer de véritables attaches de clan, relations professionnelles élargies à des activités régulières d’entraide ou de loisirs communs, fréquentation assidue de lieux favorisant une certaine convivialité comme les Eglises, les associations, les cinémas, les salles de spectacles, les restaurants…
Lorsque les groupes d’appartenance sont assez fortement organisés pour qu’y soit assurée la transmission de croyances communes et que la défense de ces croyances apparaît comme un impératif personnel, alors toute menace pesant sur le groupe peut susciter la mobilisation. Cette condition de la mobilisation apparaît nettement dans le cas de sociétés ou de groupes fortement structurés par des croyances religieuses et d’autant plus que l’ensemble des comportements est fermement encouragé par les dirigeants (les mobilisations de masse orchestrées par les confréries en Islam relèvent de cet ordre d’explication). L’action collective dépend ainsi d’une prise de conscience de la nécessité de maintenir ou de renforcer des liens sociaux conçus comme l’expression de normes et de règles qui ne peuvent être transgressées et qui sont sacrées (des messages religieux fondés sur l’attente du sauveur ou l’arrivée d’un âge d’or contribuent à renforcer cette prise de conscience).
Cette prise de conscience qui permet le passage à une action collective contestataire ne résulte pas toujours de la conscience qu’auraient les individus de leurs intérêts communs. En effet, parfois l’individu agirait en fonction d’un simple calcul coût/avantage. L’individu est ici conçu comme agissant en vertu d’un calcul rationnel des coûts et des avantages de ses actes, ce qui ne veut pas nécessairement dire qu’il évalue consciemment le poids des uns et des autres mais simplement qu’il se comporte en pratique de manière rationnelle en s’efforçant de limiter les coûts et d’obtenir le plus de biens possibles. Or, quantités d’avantages désirés profitent également à d’autres membres d’une société : une grève réussie permettra d’obtenir une augmentation de salaire pour tous les salariés de l’entreprise même s’ils n’ont pas fait partie des grévistes. L’obtention de cet avantage n’implique donc pas qu’un individu se soit personnellement engagé dans l’action collective, au contraire, il peut espérer que l’action des autres lui permettra d’obtenir satisfaction sans avoir à participer personnellement à l’action revendicatrice et sans avoir à supporter les coûts parfois élevés de l’action collective (perte de salire lors de la grève…). S’il est vrai que certains individus procèdent à un bilan coût/avantage avant de s’engager dans l’action collective, on ne peut nier que c’est leur conscience dans la défense d’intérêts communs qui finalement les poussera à agir.
En définitive, toute mobilisation peut être considérée comme une action qui suppose la réunion de conditions favorables. Elle n’est possible que dans la mesure où les individus ont un intérêt fort, ou croient avoir fortement intérêt, à s’engager (ce qui les conduit provisoirement à renoncer à la poursuite exclusive de leur intérêt personnel).

b - Les effets de la réalisation d’une action collective 
Lorsqu’une action collective protestataire se réalise, elle conduit à une modification de la situation dans la société. On assiste alors à des regroupements entre certains groupes aux intérêts complémentaires. De plus, les leaders jouent alors un rôle déterminant dans la réussite de l’opération entreprise.

1- La modification constante des relations entre les différents groupes composant la société
L’action collective se produit dans des situations conflictuelles puisque par définition, elle tend à obtenir des avantages que les autres groupes refusent de concéder. Le déroulement de ces actions est donc le produit d’une interaction entre des groupes opposés : le mouvement contestataire face aux groupes représentant le maintien de l’ordre public et face également aux groupes qui ne souhaitent pas voir la situation être modifiée.
Très souvent, on assiste à un regroupement de plusieurs groupes d’individus engagés dans la mobilisation à raison d’intérêts initialement différents. Par exemple, au moment des événements de mai 1968, l’action menée par les étudiants a été complétée par celle des syndicats ouvriers et des milieux intellectuels aboutissant à la paralysie quasi complète de la France. Evidemment, pour qu’un tel rassemblement de plusieurs groupes aux intérêts initiaux différents puisse se réaliser, il est nécessaire que les différentes actions autonomes menées à l’origine possèdent des intérêts conjoncturellement compatibles (cela ne signifie pas que les intérêts des groupes qui se rassemblent sont toujours compatibles mais qu’à un instant T de la mobilisation leurs aspirations convergent rendant possible leur agrégation). Le regroupement de plusieurs acteurs de l’action collective implique donc souvent la réalisation de certains compromis.
Les actions collectives ne peuvent donc pas être traitées comme des mouvements réellement unifiés par un objectif commun accepté par tous les individus participant à un tel mouvement et fonctionnant selon des stratégies définies initialement. La dynamique de l’action collective modifie constamment les perceptions du mouvement qu’ont les protagonistes, leurs préférences et leur degré d’engagement effectif, la vision qu’ils ont de l’adversaire et de ses ressources, les alliances et les compromis qu’ils sont disposés à conclure pour parvenir à leurs fins. A ces égards, la présence et la personnalité des leaders de l’action collective contestataire est primordiale.

2- Le rôle déterminant des leaders
Apprécier la situation, juger la détermination des adversaires et mesurer les ressources qu’ils sont susceptibles d’utiliser, proposer des objectifs recevables et des symboles mobilisateurs aux manifestants, définir et éventuellement modifier les stratégies et comprendre la nécessité de savoir terminer un conflit lorsque la probabilité d’échec augmente : voilà les tâches que les leaders doivent accomplir.
Différentes catégories de leaders sont apparues au fil des années et des conflits. Au début du 19ème siècle, des organisations de solidarité, des caisses d’entraide dirigées par d’anciens responsables de corporations et par des compagnons jouent un rôle décisif dans la mobilisation. Il en va de même des sociétés secrètes qui se multiplient dans les villes. Ces différents individus fournissent aux groupes ouvriers les mieux structurés un discours de caractère politique leur permettant d’interpréter leur situation et leurs actions en termes très politisés : une élite d’ouvriers-artisans, instruite et consciente de la relation établie entre groupes dirigeants, Etat et domination sociale, peut ainsi donner sens aux expériences de la misère et de la répression policière. Après 1848, sous le second Empire et dans les premières années de la Troisième République, les leaders d’actions collectives se recrutent plutôt dans une petite bourgeoisie républicaine : patrons-artisans, cafetiers, commerçants ambulants voire journalistes. Leur objectif commun est de politiser fortement les individus afin d’en faire une arme contre le régime ou contre les forces sociales conservatrices.
Pour leur part, les intellectuels, du fait qu’ils maîtrisent le langage politique et sont censés mieux comprendre la portée et les enjeux du conflit, sont également parfois appelés à jouer le rôle de leader lors de certaines actions collectives. Par exemple, on peut citer le rôle des philosophes des lumières lors de la Révolution française ou celui de Jean-Paul Sartre, inspirateur des actions gauchistes des années 70.
En réalité, très généralement les leaders des actions collectives doivent leur succès aux caractéristiques conjoncturelles de la situation et à leur identification aux valeurs des individus participant à l’action collective. Un intellectuel, alors même qu’il est instruit et qu’il peut décoder le langage politique et comprendre les activités politiques, ne sera donc pas nécessairement un leader pour un groupe donné. Ce n’est pas parce qu’il est instruit et qu’il parle plusieurs langues qu’un dirigeant religieux musulman peut s’imposer à une communauté mais parce que la situation de son pays détermine un retour aux traditions religieuses, que les dirigeants laïcs ont perdu leur légitimité et qu’il parvient mieux que d’autres à établir un rapport étroit entre le message coranique et un ensemble de revendications concrètes de la population. En fait, le leader est celui qui paraît à un instant T représenter au mieux des aspirations multiples et à les orienter par un discours idéologique. Fruit d’une configuration particulière des oppositions existant au sein de la société,  le leader bénéficie ainsi d’un charisme de situation qu’il doit entretenir avec l’aide de tous ceux qui en tirent profit. Dès lors que la mobilisation tend à se prolonger, on observe un phénomène de renouvellement des leaders. Ce renouvellement est dû à la concurrence qui existe au sein du groupe contestataire mais également aux changements de situation. Toute la difficulté de mener à bien une action collective est donc de choisir le leader le plus adapté à la situation, quitte à en changer si des données nouvelles apparaissent.
L’action collective obéit donc à des schémas particuliers résultant de son caractère protestataire. Elle est l’occasion pour des individus spécialisés dans l’activité politique de renforcer leur audience et d’accroître leur représentativité. En outre, ses effets permettent parfois de politiser les groupes concernés et de les faire accéder à un langage spécifiquement politique. Cette action collective est souvent le fait des groupes de pression.

C – le renouveau des groupes de pression
A la différence des partis politiques, les groupes de pression ne revendiquent pas le pouvoir. Les intérêts qui les font agir sont le plus souvent apolitiques. Mais, paradoxalement, ce sont ces intérêts apolitiques qui conduisent ces groupes à intervenir en politique. Si le pouvoir politique ne prend aucune décision qui les concerne, les groupes de pression l’ignorent et demeurent à l’écart du débat politique. C’est seulement quand le pouvoir s’apprête à prendre des décisions qui intéressent un groupe humain quelconque que celui-ci va se comporter en groupe de pression. Celui-ci constitue ainsi une réponse, une réaction face à une menace extérieure qui pèse sur des intérêts communs.

a - La notion de groupe de pression 
Il existe une multiplicité de groupes de pression (syndicats, associations…), certains sont puissants, d’autres ont un impact plus faible ; certains agissent au grand jour alors que d’autre préfèrent intervenir de façon discrète. Mais, tous présentent des caractéristiques communes.
Le groupe de pression peut se définir comme un ensemble d’individus (personnes physiques ou morales) qui, sur l’impulsion d’un intérêt commun, expriment des revendications, émettent des prétentions ou prennent des positions affectant, de manière directe ou indirecte, d’autres acteurs de la vie sociale. Les groupes de pression présentent trois caractéristiques essentielles. Ils expriment certains intérêts, ils possèdent une certaine organisation et ils exercent une pression pour parvenir à leurs fins.
L’intérêt défendu par le groupe de pression est le plus souvent un intérêt direct, lorsque le groupe recherche la réalisation de son propre avantage. Il peut parfois être indirect lorsqu’un groupe a seulement pour objectif de vendre son influence à d’autres groupes. Direct, l’intérêt défendu par le groupe de pression est majoritairement un intérêt matériel, financier le plus souvent (subvention, déductions fiscales, augmentation des salaires…). Cependant, certains groupes de pression assurent la défense d’un intérêt moral, parmi eux on peut citer les différentes églises (qui ont pour objectif la reconnaissance pleine et entière de la liberté religieuse) et les groupements humanitaires. Bien évidemment, la poursuite d’un intérêt moral finit presque toujours par aboutir vers une revendication d’ordre financier.
Pour défendre ces intérêts, les groupes de pression ont besoin d’un minimum d’organisation. Il est nécessaire qu’ils possèdent des dirigeants susceptibles d’arrêter une stratégie et des troupes recrutées parmi la catégorie d’individus que ces groupes sont censés représenter. On distingue généralement 4 types de groupes de pression en fonction de leur degré de spécialisation et d’organisation (Gabriel Almond et G. Bingham Powell). Tout d’abord, il y des groupes d’intérêts anomiques (destructurés) : ce sont des formations spontanées et éphémères souvent violentes impulsées par le public en réaction à un évènement (manifestations, émeutes, marches silencieuses). Puis, on trouve des groupes d’intérêts non associatifs qui sont des groupements informels, intermittents caractérisés par l’absence de continuité d’organisation (ex : les coordinations). Ensuite, on a des groupes d’intérêts institutionnels qui sont des organisations formelles (églises, armées, assemblées…) remplissant d’autres fonctions que la défense d’intérêts catégoriels mais pouvant, lorsque cela s’avère nécessaire, se livrer à une pression sur les dirigeants politiques. Enfin, il y des groupes d’intérêts associatifs qui sont des organisations volontaires et spécialisées dans la défenses des intérêts (syndicats, groupements civiques, associations ethniques ou religieuses).
Enfin, pour parvenir à obtenir la satisfaction des intérêts qu’ils défendent, ces groupes doivent exercer une pression, ils doivent peser de tout leur poids sur l’autorité habilitée à prendre une décision les concernant. Cette pression peut revêtir plusieurs formes. Elle peut être exercée de façon directe. A ce titre, la forme la plus utilisée est le dépôt d’une documentation auprès des personnes que l’on veut persuader. Dès lors, la pression s’apparente à une information mais une information orientée dans le sens de la satisfaction des intérêts défendus par le groupe. Une deuxième modalité de pression directe résulte de l’association des groupes de pression à la prise de décision (certaines instances associent les décideurs publics et les personnes concernées par une prise de décision : tables rondes, auditions réalisées par les commissions parlementaires, Conseil économique et social, gestion paritaire par les syndicats salariés et patronaux de l’assurance chômage), l’inconvénient est alors de donner une grande importance aux groupes de pression et de risquer, pour les pouvoirs publics, de se trouver face à un interlocuteur qui n’est pas forcément représentatif des catégories concernées par le processus décisionnel. Plus rarement la pression peut être plus forte pour s’orienter vers une menace proférée à l’encontre des décideurs. Ce type de pression peut s’exercer valablement en période électorale pendant laquelle les dirigeants politiques sont en situation de faiblesse (les groupes de pression présentent leurs revendications aux candidats et menacent de donner consigne à leurs électeurs de ne pas voter pour eux si ces revendications ne sont pas satisfaites). Enfin, au-delà de ces trois formes licites de pression directe, il existe une autre forme, illégale qui s’apparente à de la corruption et à du trafic d’influence.
A côté  de ces pressions directes, il existe des formes de pression indirectes. La première d’entre elles est une action de communication afin d’informer l’opinion publique des revendications exprimées par le groupe. Une telle stratégie rencontre des succès inégaux, les grands groupes de pression qui possèdent leurs propres journaux ou qui représentent des puissances financières importantes sont avantagés pour faire prospérer leurs idées auprès de l’opinion publique. La grève peut aussi apparaître comme une pression indirecte exercée sur les pouvoirs publics. En effet, le plus souvent, la grève est un conflit du travail qui ne met aux prises qu’employés et patrons. Mais lorsque la grève se produit dans la fonction publique, la situation se politise et fait inévitablement intervenir les autorités publiques. Enfin, dernière modalité de pression indirecte, le chantage au désordre est caractéristique des situations où les individus concernés n’ont pas en face d’eux un interlocuteur qui a intérêt à ce que le conflit cesse. C’est le cas des agriculteurs ou des commerçants qui s’ils cessent le travail ne pénalisent qu’eux-mêmes. Dès lors, lorsque ces professions rencontrent des difficultés, elles doivent immédiatement transposer leurs revendications au niveau politique soit en se mobilisant lors des élections, soit en employant des moyens spectaculaires et énergiques (barrages routiers, déversement de fumier devant les préfectures…). Ces procédés sont à double tranchant, ils sont redoutés des pouvoirs publics car ils peuvent avoir un effet boule de neige et entraîner un désordre plus grand, ils peuvent également être condamnés par l’opinion publique, de sorte que les corporations qui les emploient ont une marge de manœuvre limitée. Dans tous les cas, le fait d’exercer une pression ne signifie pas que la demande sera prise en considération ou, si elle l’est, que la réponse donnera entièrement satisfaction aux demandeurs.

b - La typologie des groupes de pression
Les groupes de pression constituent une catégorie particulièrement vaste et hétérogène. Plusieurs classifications peuvent être opérée selon les critères choisis. On peut distinguer les groupes de pression en fonction de leurs effectifs (grandes sont les différences entre des associations de consommateurs regroupant plusieurs milliers d’adhérents et une association créée dans une petite commune pour sauvegarder un monument) ou de leurs activités (il y a des groupes qui ont essentiellement une activité politique c’est-à-dire que leur influence doit s’exercer prioritairement sur le pouvoir politique = syndicats ; d’autres groupes n’ont à faire avec le pouvoir politique que de façon épisodique = mouvements religieux ou sectaires).   
En fait, plusieurs types de groupe de pression peuvent être identifiés en s’attachant au but de ces groupes, à leur genre et à leur structure.

1 – Groupes d’intérêts et groupes d’idées
Même s’il est parfois difficile de séparer radicalement la défense d’idées et la défense d’intérêts, on peut néanmoins distinguer des organisations défendant plutôt des intérêts matériels et des organisations soutenant plutôt des causes idéologiques ou morales.

# Les groupes d’intérêts
Il n’est aujourd’hui aucune profession qui n’ait son propre organe de défense et de représentation (ex les buralistes qui ont fait pression sur le gouvernement pour obtenir la fin de la hausse du prix des cigarettes et une compensation pour les pertes financières dues à la diminution de la consommation) : . Les syndicats (un syndicat est un groupement de certaines catégories de personnes ayant pour objectif la défenses de leurs intérêts professionnels) apparaissent souvent comme un contre-pouvoir au pouvoir politique en place. Ils essaient d’obtenir de lui certains avantages matériels (augmentation des salaires) ou une amélioration des conditions de travail (diminution du temps de travail). Les relations entre le pouvoir politique et les syndicats sont encore plus ambiguës lorsqu’un syndicat soutient un parti politique qui accède au pouvoir (ex : CGT et Parti communiste). Dans ce cas, le syndicat va chercher à tirer profit de la victoire de « son » parti. Ce dernier va alors se trouver confronté à un dilemme et risque de devenir un otage du syndicat dont les membres sont ses électeurs. Si le pouvoir politique ne peut pas ignorer le pouvoir syndical, il lui appartient également d’en fixer les bornes afin que des intérêts qui demeurent particuliers ne l’emportent sur l’intérêt général, tel qu’il appartient aux dirigeants élus au suffrage universel de le déterminer. Même les membres des professions libérales, pourtant marqués par l’individualisme, ont compris l’efficacité de l’action collective (il existe plusieurs syndicats de médecins dont l’influence est manifeste pour l’augmentation du prix des consultations). L’influence des groupes d’intérêts est spécialement forte dans trois grands secteurs socioprofessionnels : l’agriculture, les organisations de salariés et les organisations patronales de l’industrie et du commerce.
1 - les organisations de salariés : Ce mouvement syndical s’est construit à partir de la lutte des ouvriers pour obtenir de meilleures conditions de travail. Le syndicalisme ouvrier est donc l’aspect le plus représentatif du syndicalisme des salariés parce qu’il est le premier à s’être constitué et qu’il est numériquement le plus important. Cependant, d’autres catégories de salariés ont compris les avantages des syndicats. Ainsi, les cadres, autrefois considérés comme plus proches des dirigeants des entreprises que des salariés ont constitué des syndicats pour défendre leurs intérêts. Cette diversification syndicale se retrouve aujourd’hui avec la coexistence de syndicats ouvriers (Confédération Générale du Travail, Force ouvrière, Confédération Française Démocratique du Travail), de syndicats de cadres (Confédération Générale des Cadres) ou de syndicats des professions libérales (Confédération des Syndicats Médicaux Français). Les syndicats de salariés se constituent sur la double base du métier et de la géographie. En effet, toutes les professions n’ont pas les mêmes aspirations et les mêmes difficultés. De plus, une action efficace ne doit pas être menée dans un cadre trop vaste, les syndicats sont donc organisés en priorité au niveau local avec des regroupements par branches de métiers et au niveau national.
On assiste actuellement à un déclin des syndicats de salariés dont les effectifs ont considérablement diminué. Ce déclin est en partie dû à la désindustrialisation qui elle-même avait donné naissance au mouvement syndical. En effet, les secteurs de l’industrie lourde (métallurgie, automobile) où les syndicats étaient le plus implantés sont ceux qui ont perdu le plus d’emplois. A l’inverse, les secteurs de service qui ont crée des emplois sont ceux où le taux de syndicalisation est le plus faible. C’est en fait le recul de la classe ouvrière et des travailleurs manuels, qui était la plus syndiquée, qui explique ce déclin du syndicalisme. En outre, les syndicats sont aujourd’hui plus étroitement associés à la gestion des entreprises et de certains organismes publics (caisses de sécurité sociale, assurance chômage). De ce fait, les syndicats ont en partie perdu leur capacité de contestation ce qui a entraîné une perte de confiance de la part des salariés.
2 - les organisations patronales de l’industrie et du commerce : plus tardivement que les ouvriers, les partons ont compris qu’ils avaient intérêt à se concerter de façon à organiser de manière plus rationnelle leurs activités et à accroître l’efficacité de leur pression sur les pouvoirs publics. Le patronat cherche à influencer la politique économique et sociale du gouvernement de façon à réduire les charges pesant sur les entreprises. Comme les syndicats ouvriers, les syndicats patronaux ne présentent pas un visage unitaire. En effet, nombre de petits patrons ne se sentent pas à l’aise aux côtés des grandes puissances industrielles. Ils ont donc cherché à avoir une représentation autonome. En France on trouve le MEDEF ( mouvement des entreprises de France) et la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (jusqu’à 300 salariés). Ces syndicats demandent à la fois une intervention de la puissance publique pour financer leurs investissements et obtenir une protection contre la concurrence étrangère ainsi qu’une déréglementation de l’économie pour accroître la liberté de manœuvre des entreprises. La réussite des syndicats patronaux dépend toujours des relations plus ou moins étroites qu’ils entretiennent avec la majorité au pouvoir (ex : l’ancien ministre de l’économie et des finances, Françis Mer est un ancien dirigeant du Medef, favorable à la libéralisation de l’économie).   
3 - en Europe occidentale, la paysannerie constitue une force sociale très importante qui intervient par le biais d’organisations professionnelles qui pèsent sur les décideurs publics ou par l’intermédiaire de formations politiques, véritables partis agrariens. Même dans les pays où l’agriculture n’occupe qu’une très faible partie de la population active, les pouvoirs publics font preuve d’une grande sollicitude à l’égard des agriculteurs car l’autonomie alimentaire demeure une donnée essentielle de l’indépendance d’un pays. En outre, les caprices du temps entraînent une sous production ou une surproduction qui oblige les gouvernements à intervenir à coup de subventions. Parallèlement, de grandes disparités apparaissent dans le monde agricole (viticulteur, céréalier, éleveur, producteur laitier) qui justifient l’existence de syndicats spécifiques. Actuellement, on trouve la FNSEA (fédération nationale des exploitants agricoles) qui constitue la principale organisation syndicale agricole et qui comprend des groupements spécialisés, le Centre National des Jeunes Agriculteurs qui, bien qu’adhérent à la FNSEA se prononce pour un syndicalisme plus radical, et la Confédération Paysanne de José Bové qui mène des actions spectaculaires et illégales.  Face à la surenchère des groupes catégoriels, les syndicats et notamment la FNSEA ont du mal à préserver leur unité. En outre, l’essentiel des décisions se prenant désormais à Bruxelles, l’efficacité des pressions menées sur les gouvernements nationaux s’en trouve réduite. On assiste donc à des actions menées au niveau européen par l’ensemble des syndicats agricoles des pays membres de l’Union européenne afin d’influencer la prise de décision au sujet de la Politique Agricole Commune.
Les organisations représentant les agriculteurs, le patronat et les salariés appartiennent toutes à la catégories des groupes qui défend des intérêts et plus précisément des intérêts matériels, à l’inverse des groupes d’idées.

# Les groupes d’idées
Ce sont des organisations qui militent plutôt en faveur de la promotion d’idées et d’intérêts moraux. Cette catégorie est hétéroclite et rassemble des groupements très nombreux et très divers. Il y a d’abord les groupements confessionnels. Toute église peut être tentée d’exercer une influence sur les pouvoirs publics. En France, c’est essentiellement le cas de l’Eglise catholique qui intervient par ses organes officiels ou par ses groupements de fidèles. Cette intervention peut concerner des positions générales de l’Eglise sur un domaine précis ou pour défendre des intérêts particuliers comme ce fut le cas pour l’enseignement privé en 1984. Les revendications de tous ordres qui s’expriment dans une société conduisent non seulement les églises à intervenir directement mais suscitent aussi la création d’associations d’inspiration plus ou moins religieuse pour s’élever contre telle ou telle législation (ex : loi sur l’avortement) ou pour défendre des intérêts particuliers (scoutisme, Comité catholique contre la faim et pour le développement).
Il s’agit alors de groupements à objectif spécialisé (qui luttent pour la défense d’une cause particulière ex : SOS Racisme, Laissez-les vivre qui lutte contre la liberté de l’avortement) et les groupements de condition (qui sont des organisations regroupant des individus qui partagent une même condition sociale à un moment de leur vie, ex : organisations d’étudiants, associations d’anciens combattants, mouvements féminins). En effet, on assiste à une multiplication des associations qui sont autant de groupes de pression créés pour défendre des intérêts catégoriels. Les habitants d’un pays peuvent, en tant qu’administrés, contribuables, citoyens, chasseur, écologiste, consommateur, estimer qu’il existe des intérêts légitimes qui sont mis en cause par l’Etat et qu’il convient d’agir pour les défendre (ex : création d’associations luttant contre l’implantation de déchets nucléaires sur le territoire d’une commune ou refusant le passage du TGV méditerranée). 

2 – Groupes privés et groupes publics
Toutes les organisations citées jusqu’ici sont des groupes privés animés par des personnes privées. Pourtant, opposés par des rivalités d’influence, les divers services publics, administrations et corps de fonctionnaires, sont parfois amenés à faire pression sur le gouvernement. En effet, les fonctionnaires apparaissent souvent comme un groupe de pression à l’égard de l’administration et plus largement du gouvernement. Regroupés en syndicats, disposant du droit de grève et de leur grand nombre, ils ont les moyens de faire aboutir leurs revendications (salariales ou quant au maintien d’une différence d’années de cotisations pour l’obtention de la retraite). Le syndicalisme des fonctionnaires apparaît d’ailleurs comme un paradoxe vivant puisque c’est dans le secteur d’activité où les salariés sont le mieux protégés que le syndicalisme s’est le plus développé. Aujourd’hui encore, le taux d’adhésion aux syndicats est plus élevés chez les fonctionnaires que dans le secteur privé. De plus, tous les fonctionnaires ne sont pas égaux à l’égard du syndicalisme. En effet, c’est au sein de la catégorie des enseignants que la syndicalisation est la plus forte tout en étant beaucoup plus faible chez les enseignants du supérieur que dans les autres catégories d’enseignants. La FEN (fédération de l’éducation nationale) est un syndicat très puissant même si un déclin s’est amorcé, d’autres syndicats enseignants plus spécialisés existent (comme le Syndicat National des Enseignants du Secondaire) et se sont regroupés au sein de la FSU (fédération syndicale unitaire de l’enseignement, de l’éducation, de la recherche et de la culture. La puissance des syndicats de l’éducation nationale a été récemment démontrée par la démission du ministre de l’éducation nationale, Claude Allègre, qui avait évoqué la nécessité de « dégraisser le mammouth ».
Ces syndicats entretiennent des rapports particuliers avec le pouvoir. D’une part, les fonctionnaires sont l’élément essentiel de l’administration qui est juridiquement l’instrument du gouvernement. D’autre part, les fonctionnaires syndiqués se situent majoritairement à gauche. Les dirigeants de droite n’apprécient guère ces syndicats tout en les ménageant pour éviter une paralysie de l’administration. Quant aux dirigeants de gauche, ils se trouvent en porte-à-faux par rapport à ces syndicats. D’un côté, ayant bénéficié de leur soutien pour accéder au pouvoir, ils sont supposés être mieux disposés à satisfaire leurs revendications. Mais, d’un autre côté, ces dirigeants ne peuvent que décevoir les syndicats de fonctionnaires car ils ont en charge les intérêts généraux de la nation qui ne coïncident pas toujours avec les intérêts des syndicats de fonctionnaires. De plus, la division politique entre les socialistes et les communistes que l’on retrouve au sein des syndicats de fonctionnaires peut conduire certains d’entre eux à faire de la surenchère à l’égard d’un gouvernement de gauche.   
De même, les collectivités locales regroupées en associations (association des maires de France) et les entreprises publiques ( SNCF, EDF) sont des groupes de pression comparables à ceux existant dans le secteur privé. Enfin, parmi les institutions publiques, une mention particulière doit être faite pour l’armée. malgré le principe de la subordination du pouvoir militaire au pouvoir civil, l'armée tente parfois d'influencer l'action des pouvoirs publics, en alliance quelquefois, avec des groupes d'intérêts privés (on évoque souvent le complexe militaro-industriel). Dans d’autres cas, l’armée peut dépasser la simple pression et devenir elle-même une force politique en prenant le pouvoir par un coup d’Etat militaire.

3 – Groupes de cadres et groupes de masses      
Une dernière classification utilise une distinction forgée à propos de la structure des partis politiques. Les groupes de cadres s’adressent seulement aux notables. Ils se caractérisent par le nombre restreint de leurs adhérents (ex : syndicats de l’enseignement supérieur) et surtout par leur structure faiblement articulée et décentralisée. L’exemple type de ces groupes est le syndicat patronal qui, s’il présente un nombre élevé d’adhérents au niveau local, possède des statuts qui soulignent l’indépendance des groupements locaux participants et l’(impossibilité de leur imposer une décision même à la majorité qualifiée.
A l’opposé, à l’instar des partis de masses, les groupes de masses visent à réunir le plus grand nombre possible d’adhérents et possèdent une organisation fortement structurée et hiérarchisée (syndicats ouvriers, organisations paysannes, mouvements étudiants).   
Au-delà de ces distinctions, l’essoufflement des groupes de pression traditionnelles et des organisations syndicales a permis l’émergence de nouveaux acteurs de la revendication : les associations et les coordinations. Ces dernières sont des structures organisant une mobilisation de grévistes, sans distinction syndicale. Elles ont d’abord été créées par les étudiants et les lycéens avant d’être reprises par de nombreuses professions (cheminots, infirmières, fonction publique…). Quant aux associations, elles se sont développées dans différents domaines : cadre de vie (associations de quartier), humanitaire, solidarité (ex : droit au logement), antiglobalisation. Elles sont aujourd’hui privilégiées par les citoyens car elles sont moins contraignantes (le syndicat impose aux salariés une vie militante qui empiète sur le vie privée) que les syndicats et plus respectueuses de l’autonomie de l’individu. En outre, elles parviennent à s’occuper et à mobiliser certaines catégories délaissées par les syndicats (qui n’ont pas réussi à répondre aux besoins d’information et d’assistance des ces populations exclues) : les chômeurs et les populations en situation précaire (ex : Agir ensemble contre le chômage, Droit au logement). Leur action est souvent plus frappante que celle des autres groupes de pression (ex : occupation des antennes Assedic pour obtenir une prime de Noël pour les chômeurs, occupation d’une Eglise par les sans papiers…).  Dans certains domaines, elle tend à s’internationaliser, ex : lutte dans anti mondialistes contre l’Organisation mondiale du commerce, lutte pour la protection de l’environnement, mouvements pacifistes contre la guerre en Irak.
Ainsi, ces nouveaux mouvements sociaux ont permis de donner une voix aux exclus et de tisser de nouveaux liens sociaux. Par leur prise de parole tous azimuts, ces mouvements contestataires perturbent les organisations syndicales traditionnelles, les partis politiques, les autorités nationales et les organismes internationaux. En effet,  ils prétendent faire de la politique en dehors des schémas établis. Néanmoins, ils sont une chance pour la démocratie : par la solidarité qu’ils revendiquent avec les plus faibles, par la participation politique avec laquelle ils renouent et par l'ouverture d'un débat qu’ils imposent sur les grands choix collectifs de société.    

c - Les différents niveaux d’action des groupes de pression
L’action menée par les groupes de pression peut s’exercer à plusieurs niveaux. Tout d’abord, ils essayent d’atteindre le pouvoir exécutif. En effet, ce dernier étant aujourd’hui fréquemment doté de plus d’attributions que le pouvoir législatif et étant plus apte à fournir une réponse rapide avec une meilleure connaissance des dossiers, les groupes de pression en ont fait leur cible d’action privilégiée. En France, sous la IIIème République, les groupes de pression intervenaient auprès des assemblées (Séant et Chambre des députés), sous la Vème République, si les groupes de pression n’ont pas déserté le Parlement, ils ont néanmoins réorienté leur action vers l’exécutif. A cet égard, ils peuvent exercer leur action soit auprès du chef de l’Etat soit auprès du gouvernement. La meilleure solution consiste à s’adresser au niveau le plus élevé de l’Etat, elle est cependant difficile à mettre en œuvre car elle suppose l’obtention d’une entrevue avec le Président ou avec l’un de ses conseillers. Un autre niveau d’intervention est représenté par les cabinets ministériels. Ceux-ci, parce qu’ils constituent un organe d’impulsion, de coordination, de préparation des décisions des ministères, présentent un intérêt indéniable pour les groupes de pression. A ce niveau, la réussite de l’action entreprise dépend souvent des liens personnels qui ont pu se nouer avec les interlocuteurs des cabinets ministériels. Au-dessous des cabinets, les groupes de pression peuvent solliciter les différents services de l’administration, ce qui implique de faire le choix de l’interlocuteur le plus apte à satisfaire les revendications du groupe. Quelque que soit le niveau choisit au sein du pouvoir exécutif, les groupes de pression auront toujours davantage de chances de réussir leur entreprise si ils ont placé un des leurs dans les organes de décision.
Même si le pouvoir exécutif a pris une grande importance dans la vie politique, le pouvoir législatif n’est pas à l’abris des phénomènes de pression. Cette situation est particulièrement vrai aux Etats-Unis où les lobbies exercent leur activité principalement auprès des membres du Congrès. Dans ce pays, le lobbying est un véritable métier dont les membres sont recrutés parmi les anciens membres du Congrès, les fonctionnaires et les industriels. Leur action s’exerce auprès des commissions dont les auditions publiques permettent aux groupes de pression de faire entendre leur voix. En France, la situation est différente, le Parlement ayant perdu de son influence depuis 1958. Toutefois, les groupes de pression continuent de s’y manifester car c’est un moyen de faire connaître leurs revendications et de toucher indirectement le pouvoir exécutif (ex : le vote de la loi Evin, relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme en 1990, a été l’occasion de voir à l’œuvre divers groupes de pression favorables ou hostiles à ce texte. Si le vote de la loi n’a pu être empêché, les groupes de pression hostiles à ce texte n’ont pas renoncé et en 1994, les viticulteurs et fabricants d’alcool ont obtenu la suppression de l’interdiction de publicité pour les boissons alcoolisées).
L’opinion publique est l’autre pôle utilisé par les groupes de pression. Dans la société médiatisée dans laquelle nous vivons, l’opinion publique sert à légitimer une action. Si l’opinion est favorable à un groupe, les dirigeants pourront difficilement s’opposer à l’adoption des mesures qui lui sont favorables. Pour influencer l’opinion, il est possible de faire appel à la presse ou d’employer des moyens plus dérangeants comme les manifestations, les barrages routiers (ex : les grèves de routiers qui empêchent l’essence de circuler et paralysent le pays). La décentralisation et la construction européenne expliquent également que les groupes de pression élargissent leur action aux instances dirigeantes des collectivités territoriales (dont certaines font également partie du gouvernement ou du Parlement) et à la commission européenne (ex : les agriculteurs). En fait, quelque soit le niveau d’action et l’interlocuteur retenu, les groupes de pression doivent intervenir dans le monde politique et plus largement dans celui des décideurs s’ils veulent obtenir la satisfaction de leurs intérêts.   
Les groupes de pression, par leur nombre et par la diversité des moyens qui s’offrent à eux occupent une place importante dans la vie politique et la participation politique. Si cela a toujours existé, la situation paraît plus nette à l’heure actuelle en raison du développement croissant des médias, qui eux aussi, peuvent être qualifiées de force politique.

D – Les médias et l’information
Le terme de média (qui provient de l’anglais mass média que l’on peut traduire par moyens de communication de masse et du latin médium qui signifie le centre, l’intermédiaire) désigne aujourd’hui l’ensemble des instruments et des procédés qui permettent la communication de toute donnée dans le but de renseigner, d’apprendre ou de distraire. En un siècle, on a assisté à une véritable révolution des médias qui conduit à l’accroissement de leur capacité d’influence. En effet, on a assisté à une révolution technique en raison de l’apparition du cinéma, de la radio, de la télévision puis d’Internet qui a permis la naissance de la société de communication. Jamais, l’homme n’a disposé d’une telle abondance d’informations. L’intensification de la communication entre les hommes, créatrice d’une société de communication résulte de la multiplication des supports d’information. Elle résulte également de la multiplication des informations. Toutefois, cette société de communication peut entraîner des effets contradictoires. D’un côté, les moyens de communication peuvent engendrer des échanges entres les hommes (ex : les émissions de télévision donnent lieu à des discussions entre les individus). D’un autre côté, ils peuvent restreindre la communication en isolant les individus (ex : la solitude de l’individu face à son ordinateur qui ne communique plus face à face avec d’autres individus, la télévision qui peut réduire la communication au sein d’une famille).   
Quoi qu’il en soit, le sentiment courant, tant des citoyens que des hommes politiques, est que les moyens de communication ne sont pas sans effet et possèdent une capacité d’influence réelle. C’est pourquoi les gouvernants se sont toujours intéressés à ces différents moyens de communication. Jusqu’à la 3ème République, le pouvoir contrôlait étroitement la presse. Les dirigeants voyaient dans la presse un danger de déstabilisation. Aussi, plusieurs mesures étaient prises pour éviter toute remise en cause du pouvoir : autorisation préalable, censure. En outre, le pouvoir accordait une place privilégiée à certains journaux dans lesquels il faisait sa propagande. Cette double action du pouvoir sur les médias (contrôle et propagande) s’est prolongée jusqu’à nos jours. Ainsi, la 3ème République a promu l’existence de journalistes parlementaires qui étaient présents au sein des assemblées et dans l’entourage du Président du Conseil pour relayer la politique gouvernementale. La création de la radio puis de la télévision ont davantage encore permis de relayer l’information politique. A cet égard, la radio a joué un rôle déterminant pendant la seconde guerre mondiale puisque elle était le moyen pour Vichy de faire passer sa propagande et pour les résistants et les alliés de faire diffuser des messages codés. C’est de Gaulle, après son retour en 1958, qui fait de la télévision l’outil privilégié du pouvoir. Il y ajoute le procédé anglo-saxon de la conférence de presse. Les ministres sont réunis près du chef de l’Etat, devant un parterre de journalistes dont certains, chois à l’avance, sont invités à poser des questions. A cette époque, l’Etat garde le contrôle de la radio et de la télévision puisque la RTF est placée sous l’autorité directe du ministre de l’information. la libéralisation de l’information sera progressive entre les années 70 et nos jours. Ce bref panorama des relations entre la presse et le pouvoir montrent les liens étroits qui existent entre eux parce que les médias peuvent subir le contrôle du pouvoir et parce qu’ils peuvent aussi grandement l’influencer. Aujourd’hui, l’évolution est telle que se pose la question de la toute-puissance des médias qui perturbe l’exercice de la démocratie en transformant la politique en politique spectacle.   

a - Les médias face au pouvoir
Comme l’a montré l’exposé historique, le pouvoir cherche toujours intervenir à dans les médias. Au minimum, cette intervention prend la forme d’une réglementation des médias par le pouvoir. En effet, la communication constitue l’un des domaines d’action du gouvernement qui souvent comprend un ministre chargé de ce secteur. Cette situation est logique dans la mesure où le développement des moyens de communication nécessite un financement public. Seul l’Etat dispose des moyens financiers nécessaires pour développer des instruments comme le minitel, pour lancer des satellites de communication, pour assurer le développement de la télévision par câble. La propriété publique d’un moyen de communication n’est pas toujours synonyme d’absence de liberté. Il faut que ces moyens publics d’information aient une gestion assurée par des organes indépendants du gouvernement et que les moyens d’information publics coexistent avec une propriété privée de ces moyens. A cet égard, il faut distinguer la presse écrite qui, malgré la censure et un régime fiscal contraignant, s’est largement développée en dehors et même contre le pouvoir de l’Etat et est rapidement parvenue à obtenir le vote de loi assurant cette indépendance (loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse). En revanche, la radio et surtout la télévision ont longtemps été considéré par les pouvoirs publics comme un monopole étatique. Qui ne sera brisé qu’à partir des années 80 avec l’arrivée de la communication par satellite et de la privatisation des moyens de communication.
Aujourd’hui, malgré la prédominance de la propriété privée et la pluralité des moyens d’information, le pouvoir n’a pas abandonné toute idée d’intervention dans les médias pour faire prévaloir ses orientations. Cette intervention se fait essentiellement par la nomination des directeurs de radio et des présidents des chines de télévision publiques qui met en relief la politisation de ce secteur (on retrouve le même principe pour la nomination du président du CSA, Hervé Bourges sous Mitterrand, Dominique Baudis sous Chirac).
Cette réglementation des médias par le pouvoir résulte également du fait que la liberté des moyens de communication ne peut jamais être totale. Les libertés des citoyens doivent être protégées afin d’éviter la diffusion d’une mauvaise information (ex : lors de la condamnation d’Alain Juppé dans l’affaire des emplois fictifs du RPR, France 2, par l’intermédiaire de David Pujadas, a annoncé au journal de 20 H le retrait de la vie politique de l’ancien premier ministre qui, au même moment, sur TF1 annonçait son intention de rester en place et de faire appel de la décision des juges. Cette mauvaise information des téléspectateurs a entraîné la mise a pied pendant 3 semaines de David Pujadas et la démission d’Olivier Mazerolles, directeur de l’information de la chaîne publique). De plus, l’Etat doit intervenir dans le secteur audiovisuel pour définir les modalités d’attribution des fréquences d’émission, il doit aussi fixer les exigences du service public dont le respect s’impose aux différents moyens de communication et à leurs propriétaires (les chaînes publiques doivent accepter le principe constitutionnel de continuité du service public, les chaînes privées doivent respecter un cahier des charges avec la présence obligatoires de certaines émissions culturelles, un quota de films français, la diffusion d’œuvres de création).         
Au maximum, le pouvoir exige la subordination des différents médias. Dans ce cas, le pouvoir contrôle totalement les informations et les moyens de communication. On retrouve cette situation dans les régimes totalitaires qui ne connaissent ni la liberté d’expression ni celle de la presse. Les journaux d’opposition sont interdits ou soumis à la pression du pouvoir. La seule information devant circuler est celle donnée et avalisée par le pouvoir. De ce fait, les citoyens ont tendance à ne pas s’intéresser à cette information qui ne représente pas la vérité ni la pluralité des courants d’expression.
Comme on vient de le voir, les médias sont donc un enjeu politique pour le pouvoir qui doit laisser exister la liberté de communication tout en réglementant les moyens de communication et en assurant la propagation de ses idées. En effet, aujourd’hui, on ne peut plus concevoir la politique sans les médias et notamment la télévision. On comprend alors l’influence qu’exercent les médias sur le pouvoir.   

b - Le pouvoir des médias
Dans la société de communication dans laquelle nous vivons, les médias ont pris une place considérable et peuvent influencer les citoyens. Le meilleur exemple de cette influence est fourni par l’annonce par Orson Welles en 1938 sur CBS qu’un vaisseau spatial venu de Mars s’est posé à New York et que les martiens tuaient les terriens. Dès cette annonce à la radio, les gens s’enfuient de chez eux, l’hystérie gagne toute la population. Cette capacité d’influence s’est considérablement renforcée avec le développement de la télévision. 
En effet, la télévision jouerait un rôle essentiel dans le débat politique. On peut par exemple affirmer le rôle essentiel joué par le débat télévisé entre Richard Nixon et John Fitzgerald Kennedy pour l’élection de ce dernier à la présidence des USA en 1960. De même, en France, les face à face entre les candidats à l’élection présidentielle sont déterminants pour l’issue de cette élection (ex : en 1974, Giscard dit à Mitterrand : « vous n’avez pas le monopole du cœur », phrase qui fait basculer une partie de l’électorat en sa faveur. De même, les guignols de l’info ont donné une image sympathique de Jacques Chirac qui a contribué à son élection en 1995). En Italie, Silvio Berlusconi s’est servi des moyens de communication sous son contrôle pour favoriser son accession au poste de Président du Conseil. Depuis, il continue de se servir des moyens de communication dont il dispose pour faire accepter sa politique et sa personne.   
Plusieurs théories ont été élaborées pour essayer de quantifier l’importance de la télévision dans le débat politique. Certaines ont considéré que la télévision avait un pouvoir important. D’autres, au contraire, ont relativisé l’importance des effets des moyens de communication de masse. En fait, il est indéniable que la télévision conduit plutôt à un renforcement de l’opinion préexistante qu’à un changement radical de celle-ci. En effet, lorsqu’ils regardent des émissions politiques, les individus écoutent et retiennent plus facilement la propagande de leur parti que celle de l’adversaire. En conséquence, ils ne sont pas tentés de modifier leur comportement électoral mais au contraire ils se sentent confortés dans leur choix. Toutefois, cette constatation n’est pas exclusive. La télévision peut jouer un rôle dans la création d’opinions entièrement nouvelles. Mais, les idées nouvelles auront d’autant plus de chances de succès auprès des téléspectateurs qu’elles seront énoncées par un visage nouveau. D’autre part, l’influence est d’autant plus sensible que les individus n’ont pas d’opinions arrêtées sur le sujet. Or, aujourd’hui, on assiste à un accroissement du nombre de citoyens qui ne possèdent pas d’opinions politiques prédéterminées et constantes, l’influence de la télévision à leur égard est réelle et ne peut aller qu’en augmentant.
Enfin, plus rarement, la télévision peut avoir un effet de conversion d’opinions. Cette conversion est possible lorsqu’il s’agit d’une opinion qui repose sur une base instable ou équivoque (l’individu n’est finalement pas très sûr du bien-fondé de sa pensée). L’émission télévisée joue alors un rôle de révélateur en montrant l’erreur dans laquelle l’individu était et le bien-fondé évident d’une autre opinion. C’est peut-être alors davantage sur les questions posées et les problèmes mis en lumière (et non sur les convictions elles-mêmes) que les médias ont un rôle important.
En définitive, on peut dire que les médias et la télévision en particulier, ne sont pas tout puissants. Mais, il est également impossible d’affirmer que leur influence est nulle et qu’ils ne sont pas en mesure de faire pencher la balance en faveur de l’un ou l’autre des candidats. Cependant, cette influence est difficilement quantifiable. Quoi qu’il en soit le 4ème pouvoir, et notamment la télévision, possède une influence non négligeable sur les comportements des individus (et pas uniquement sur leur comportement électoral).
Si l’on prend comme exemple la campagne pour l’élection présidentielle de 2002, on s’aperçoit du désintérêt des médias pour cette campagne et notamment à la télévision. En effet, les statistiques produites par le CSA montrent que les chaînes accordent de moins en moins de temps à l’information et aux débats politiques. A cet égard, le recul le plus important est à mettre au crédit de TF1, la chaîne la plus regardée qui n’a consacré que 1 heure d’antenne aux différents candidats dans ses magazines d’information alors qu’en 1995 elle leur accordait presque 16 heures. De même, la place consacrée à l’élection dans les JT de la chaîne privée a diminué de 50 % entre 1995 et 2002 (25 % sur France 2). Les journalistes sont conscients de cette dérive mais tentent de la justifier par le caractère ennuyeux de la campagne, par la certitude d’un duel Chirac-Jospin au second tour et par le désintérêt des français pour la politique comme l’atteste le taux d’abstention. Or, la certitude d’un duel Chirac-Jospin au second tour était loin d’être acquise. D’ailleurs, la commission des sondages avait mis en garde les médias sur la façon dont ils interprétaient les sondages d’intention de vote et dont ils informaient le public. Elle insistait notamment sur le nombre de sondés n’exprimant aucun choix ou n’étant pas sure de leur choix et sur la façon dont étaient constitués les échantillons de personnes interrogées. Or, aucun média n’a relayé cette mise en garde, chacun préférant rester focalisé sur le duel du second tour. Or, chaque journaliste était conscient de la remontée de Le Pen et du risque à le voir arriver au second tour. Mais, aucun ne s’est senti le courage d’endosser la responsabilité d’annoncer clairement cette hypothèse de peur d’être accusé de faire le jeu de l’extrême droite. Pourtant, lorsque l’on observe que le PS est redevenu le parti dominant de la gauche aux élections législatives, que les partis d’extrême gauche y ont atteint des scores très faibles, que le mouvement de Chevènement a été éliminé du jeu politique, il ne fait aucun doute que certains électeurs de gauche ont cru pouvoir s’affranchir d’un vote utile, dispersant leurs voix sur d’autres candidats de gauche, parce qu’ils avaient acquis la certitude que Jospin serait présent au second tour.
Au vu de ces données, il ne fait aucun doute que les médias ont la capacité d’influencer le résultat électoral. Cette montée en puissance des médias a également un impact sur l’organisation et le fonctionnement du monde politique. Le jeu politique a été totalement bouleversé par l’arrivé des moyens de communication de masse. D’un côté, il a été rendu plus égalitaire et plus démocratique, mais d'un autre côté, il a été rendu plus vulnérable aux tentations de la démagogie, du spectacle et de la manipulation.    

c – La transformation de la société démocratique 
On ne peut plus gouverner sans les médias et nos gouvernants tentent, par tous les moyens de s’attirer les bonnes grâces des journalistes. Ainsi, certains hommes politiques feraient leur siège pour obtenir un passage dans une émission largement regardée par le public car désormais, on ne conçoit plus de vie politique qui ne passe par les médias et l’essentiel, pour certains hommes politiques, est d’être vu à la télévision. De plus, gouverner implique de réfléchir et d’élaborer des projets en secret ce qui n’est plus possible sous la pression permanente des médias. Parallèlement, les médias, parce qu’ils nous informent et contribuent à la formation de l’opinion publique, font partie intégrante de la démocratie. Mais, ils sont mus par la logique du profit et de l’audience, ils s’occupent donc plus de nous divertir et de nous émouvoir que de nous informer objectivement.
La démocratie, gouvernement du peuple, suppose le contrôle permanent de l’exercice du pouvoir par l’opinion publique. Les médias constituent le moyen le plus efficace d’information et de formation de cette opinion publique. Ils sont le relais entre gouvernants et gouvernés. Or, aujourd’hui, ce relais ne fonctionne plus de manière satisfaisante. La médiatisation a profondément transformé la vie politique et les règles démocratiques quant à la sélection du personnel politique, à l’action politique et au discours politique et quant au fonctionnement général du système politique.
1 – La sélection du personnel politique : les formes modernes de communication politique favorisent les acteurs politiques qui appartiennent à des grandes formations et notamment à leurs principaux leaders. Or, en donnant en priorité la parole aux poids lourds de la politique (notamment parce que leurs interventions génèrent de l’audience), les médias tendent à renforcer leur prééminence sur les élus plus obscurs et donc finalement à légitimer les leaders des grandes formations. Ils sont donc les seuls à être écoutés et entendus par les citoyens alors que la majorité des acteurs politiques reste dans l’ombre (cette situation est d’ailleurs aggravée par les sondages puisque seuls ceux arrivés en tête sont invités sur les plateaux de télévision). De cette façon, les médias offrent à certains hommes politiques des chances supplémentaires d’apparaître comme des candidats crédibles et donc de remporter l’élection. plus largement, pour réussir en politique, il ne suffit plus de s’appuyer sur un réseau de militants, il faut être capable de séduire une majorité de citoyens en se faisant entendre dans les médias. Le cursus classique de l’accès au pouvoir (reconnaissance par les militants de base, investiture au niveau local puis national et reconnaissance par les dirigeants du parti) est donc désormais concurrence par un processus de légitimation directe par l’opinion publique. Cette dernière, grâce aux médias peut choisir des hommes qui ne possèdent pas une grande expérience militante mais qui ont une forte popularité acquise par exemple dans les affaires ou dans le sport (ex : Bernard Tapie). Se pose alors le problème des compétences politiques de cette personne dont le seul mérite pourrait être d’être télégénique. Se pose également la question du choix des acteurs politiques qui ne provient plus des militants et des citoyens mais des médias en fonction non de leurs compétences techniques mais de leur capacité à captiver les foules et à faire de l’audience (c’est d’ailleurs pour cette raison que les hommes politiques s’entourent de conseillers en communication qui sont chargés de leur apprendre à passer à la télévision et à avoir une bonne image).
2- L’action des hommes politiques : lorsqu’ils parviennent à obtenir des responsabilités importantes, les hommes politiques ne sont pas pour autant émancipés de la pression des médias. En effet, la communication moderne ne cadre pas avec l’action politique qui s’inscrit dans la durée. Les médias s’intéressent à la prise de décision en omettant le travail de préparation et l’évaluation des résultats. En outre, les citoyens sont immédiatement informés des évènements ce qui oblige le pouvoir politique à gérer plusieurs problèmes en même temps. Plus largement, les journalistes et les instituts de sondage vérifient périodiquement la légitimité des hommes politiques. S’il est crédité de mauvais scores de popularité ou s’il constate que son action et ses décisions sont critiquées par la population, un homme politique se droit d’en tenir compte même s’il possède la légitimité du suffrage universel (ex : la position difficilement tenable de Jean-Pierre Raffarin, renommé Premier ministre après l’échec des élections régionales et dont la population ne veut plus à ce poste). En quelque sorte, les dirigeants politiques se doivent de conserver une légitimité au quotidien. Pour ce faire, il leur faut régulièrement expliquer leur politique aux citoyens. Finalement, la médiatisation place les hommes politiques sous une double pression : ils doivent souvent traiter des problèmes dans l’urgence, leur travail n’est jamais montré par les médias et ils sont placés à longueur d’année sous le contrôle des citoyens ce qui remet en cause leur légitimité démocratique. Dès lors, les hommes politiques doivent modifier leur attitude face aux médias.
En premier lieu, la médiatisation de la vie politique incite les acteurs politiques à rendre leur action aussi spectaculaire que possible afin qu’elle intéresse les journalistes, qu’elle soit répercutée par eux et donc visible pour un maximum de citoyens. Ainsi, l’action des hommes politiques n’est pas guidée par le souci de l’efficacité mais par le souci de la notoriété. Les acteurs politiques se posent donc toujours la question de la répercussion de leurs actes dans les médias (un collaborateur de Ronald Reagan disait que dans toutes les réunions à la Maison Blanche se posait rapidement la question de la répercussion dans les médias des décisions qu’il fallait prendre). De plus, à partir du moment où les réactions de l’opinion aux différentes actions des leaders politiques sont mesurées par les instituts de sondage, il devient difficile de les négliger, faute de quoi on risque d’être accusé d’aller à l’encontre de ce que souhaite le peuple (le Service d’Information du Premier ministre commande environ un sondage par mois sur des questions d’actualité et fait également réaliser un baromètre mensuel de l’opinion. Des réunions sont périodiquement organisées entre les membres du gouvernement pour analyser les réponses obtenues et ainsi mieux orienter l’action du gouvernement). Dans cette perspective, les médias assurent l’information du gouvernement sur les dossiers qu’il devient urgent de traiter (Michel Rocard, ancien Premier ministre dit que pour prendre conscience de la gravité d’une question sociale il y a d’abord les préfets puis les médias).
Tous ces éléments poussent les hommes politiques à davantage de démagogie dans leur discours et leur action. Certes, la démagogie ne date pas de l’émergence des médias de masse. De plus, on ne peut pas dire que les médias incitent les décideurs publics à n’agir que dans le sens souhaité par l’opinion publique. On ne peut penser qu’un homme politique ferait n’importe quoi pour plaire au peuple quitte à passer outre aux contraintes économiques ou diplomatiques. Il est en fait plus probable que les hommes politiques ont souvent tendance à repousser des mesures impopulaires après les élections quand ils auront le temps nécessaire pour les mettre en place voire quand ce sera au successeur d’en endosser la responsabilité. Dans ces conditions, les médias sont souvent accusés d’empêcher les hommes politiques de gouverner correctement. Néanmoins toute la faute ne repose pas sur les médias mais incombe également au régime démocratique lui-même qui périodiquement implique d’obtenir l’adhésion de l’électorat. 
3- Le discours des hommes politiques : il ne ressemble plus à de longs monologues durant lesquels un orateur s’exprime en véritable tribun. A la place de cette forme traditionnelle, on trouve de nouvelles formes de discours, plus claires et qui se rapprochent davantage d’une conversation. Il y a une simplification qui est nécessaire pour capter l’attention du public dans un monde dominé par la concurrence des sources d’information. l’homme politique doit à tout moment être meilleur que ses adversaires. Ils doivent privilégier les formules concises et frappantes (les petites phrases) et éviter les argumentaires trop longs et trop complexes qui risquent d’irriter ou de susciter l’incompréhension. les médias exigent également un discours suffisamment distrayant pour que le public ne soit pas tenté d’aller voir ailleurs (chute de l’audience). lorsque la politique est présentée à un auditoire restreint, intéressé et connaisseur, l’objectif est de convaincre et de mobilier, on peut alors se permettre une certaine aridité dans le discours. En revanche, quand le public est nombreux et peu politisé, le but est d’éveiller son intérêt et non de l’ennuyer. il s’agit donc de le séduire par un discours attrayant. Là encore, on retrouve l’idée d’un spectacle de la politique.
Il faut toutefois nuancer ce propos qui vaut essentiellement pour les chaînes généralistes et aux heures de grande écoute. De plus, cette tendance à la simplification existait déjà avant les médias de masse. Elle est rendue nécessaire par la démocratie représentative qui implique d’expliquer le plus clairement possible les problèmes pour que chaque citoyen puisse se faire sa propre opinion.
4 – les transformations du système politique : la première transformation structurelle du système politique est une tendance très nette à la personnalisation de la politique. Dès qu’est apparu le suffrage universel, il a fallu des têtes de liste qui représentent les principales tendances politiques. Ce phénomène a été accentué par les médias et notamment par la télévision. Celle-ci doit en permanence montrer un résumé du débat politique et réduire le choc des idées à l’affrontement entre des personnalités. La politique est donc un western que l’on décrit en utilisant des métaphores militaires et sportives. Ensuite, la médiatisation a conduit à l’affaiblissement du réseau militant. Dès lors que des millions de téléspectateurs et d’auditeurs peuvent en même temps voir et entendre le même leader politique s’exprimer, ce dernier n’a plus autant besoin d’être relayé par des militants pour être entendu. Il peut également passer par dessus la tête des cadres de son parti. En sens inverse, le réseau militant n’est plus un canal privilégié pour la remontée des informations jusqu’au cœur du système politique. Les médias et les sondages fournissent de biens meilleures informations au personnel politique.
Au total, les transformations induites par la médiatisation du jeu politique sont déterminantes. La politique n’est plus ce qu’elle était et les médias y sont pour beaucoup. En fait, 4 principes fondamentaux devraient animer les journalistes : les rédactions ont un rôle déterminant à jouer dans la vie publique, le public doit être considéré comme étant formé de citoyens actifs prêts à s’engager et non pas comme des spectateurs passifs de l’actualité, les médias doivent prendre conscience de leur mission civique en contribuant à améliorer la qualité du débat public, les médias doivent aider les citoyens à prendre en charge certains de leurs problèmes plutôt que de les maintenir dans une forme de passivité ou de délégation. De cette façon, les journalistes contribueraient à redynamiser la démocratie.                     
L’accroissement de l’importance prise par la télévision dans la vie sociale et politique a entraîné l’émergence d’une autre force politique : l’opinion publique. Celle-ci apparaît alors comme un groupe de pression d’un genre particulier qui est très écouté par les décideurs publics.               

E – L’opinion publique à travers les sondages
Les dirigeants politiques cherchent sans cesse à connaître l’avis de l’opinion publique c’est-à-dire de l’ensemble des citoyens sur un problème déterminé. Pour ce faire, l’avènement de la société de communication a vu la multiplication des sondages d’opinion. Le principe des sondages d’opinion est simple : dans l’impossibilité d’interroger la totalité de la population, on questionne un échantillon représentatif afin d’obtenir une vue d’ensemble de l’état de l’opinion. Cette technique a fait ses preuves mais connaît également des limites car les réponses faites lors des sondages ne correspondent pas toujours avec la réalité. Par exemple, le taux d’abstention et le vote pour les partis extrêmes sont souvent sous-estimés, les sondés préférant taire leur véritable comportement électoral. En fait, les réponses dépendent de la manière dont les questions sont formulées et de la manière dont elles sont comprises d’un individu à l’autre. Elles sont également tributaires du moment où elles sont posées. Enfin, tout le monde n’a pas toujours une opinion sur tout ou n’a pas forcément envie de l’exprimer. 
Quoiqu’il en soit, malgré les critiques que l’on peut apporter aux sondages d’opinion, ceux-ci se sont multipliés de sorte qu’aujourd’hui, la population est interrogée sur tout et n’importe quoi. Ainsi, il existe des sondages marketing des produits et services qui consistent à interroger des cibles, c’est-à-dire des groupes sociaux ayant a priori des caractéristiques communes de consommation et de comportement d’achat. on interroge alors le consommateur en le considérant comme un expert capable d’opérer des choix entre différents produits. L’enjeu économique et financier de ce type d’enquête est important pour son commanditaire. Il existe également des sondages d’opinion sur des faits de société ou sur des questions politiques. Ces sondages posent souvent des questions complexes avec des choix multiples qui sont susceptibles de perturber les sondés.  Enfin, il existe des sondages électoraux qui sont des sondages d’intention comportementale qui sont d’autant plus précis que l’on se rapproche de la date de l’élection. les prévisions de résultats les soirs des élections sont des sondages effectués à la sortie des urnes pour demander aux électeurs pour qui ils ont voté. Ce type de sondage a le mérite de poser des questions simples et claires aux sondés (pour qui ils veulent voter ou pour qui ils ont voté). L’impact de ces sondages électoraux est tel qu’une loi du 19 juillet 1977 interdit leur publication 8 jours avant la date du scrutin (cette loi est hypocrite car ce n’est pas la réalisation des sondages qui est interdite mais leur publication. Rien n’interdit donc qu’ils soient communiqués aux états majors politiques et aux responsables économiques. De plus, avec le développement d’Internet, le résultat de ces sondages est disponible pour les citoyens disposant d’un ordinateur).   
Hormis les sondages marketing qui ont un objet limité, les autres sondages sont très importants pour la classe politique. Ainsi, avec les sondages d’opinion, le pouvoir politique peut agir en fonction des mouvements de l’opinion, ce qui, dans certains cas, peut rendre celle-ci puissante. En effet, il existe un risque que les dirigeants cherchent la solution de facilité c’est-à-dire cherchent avant tout à plaire, ou tout au moins, à ne pas déplaire à l’opinion. Or, il est évident que l’opinion publique est rarement unanime et n’est jamais portée à envisager les solutions les plus radicales. Le pouvoir politique doit alors rechercher le plus petit dénominateur commun ce qui le conduit à mener une politique peu audacieuse (les grandes réformes impliquent souvent des choix tranchés peu compatibles avec le désir des gouvernants de ne pas déplaire à l’opinion) et surtout démagogique. Ceci est d’autant plus dangereux que l’opinion est très changeante et peut vouloir une autre politique de façon soudaine. L’opinion exprimée dans le sondage n’étant qu’une réaction, immédiate et souvent émotionnelle, à un fait, elle ne peut être le fondement de la politique d’un Etat. En ce sens, il ne peut y avoir de gouvernement d’opinion, même si, à certains moments, les dirigeants politiques peuvent être tentés de suivre les mouvements d’humeur de la population. L’influence exercée par l’opinion publique sur le monde politique devrait donc être relativisée. Pourtant, les hommes politiques se montrent plus positifs vis-à-vis des sondages d’opinion. ils considèrent que par cette technique de communication ils ont les moyens de mieux connaître l’état de l’opinion et d’agir en conséquence. De cette façon, certaines décisions peuvent être prises en tenant compte de l’opinion. en ce sens, une des principales fonction des sondages, du point du vue du gouvernement, est leur rôle d’aide à la décision notamment pour des sujets délicats (ex : comment agir pendant une grève dure de la fonction publique ?. Il est plus facile de ne pas faire d’erreur stratégique grave si l’on sait comment cette grève est perçue dans l’opinion.). pour cette raison, le gouvernement multiplie les sondages sur les questions d’actualité, sur des projets de réforme et sur l’état de l’opinion à son encontre. En outre, il analyse les sondages effectués dans la presse. A partir de tous les résultats, des notes de synthèse sont rédigées puis discutées entre les membres du gouvernement. Le gouvernement peut ainsi savoir au jour le jour dans quels domaines il est soutenu par l’opinion et dans quels domaines son action est jugée insuffisante voire néfaste. Dans le premier cas, l’orientation du gouvernement est confortée. Dans le second cas, le sondage permet de réfléchir, de modifier une stratégie de communication et d’infléchir une politique.      
Les sondages d’opinion réalisés par les différents organismes de sondage (CSA, BVA, IFOP, IPSOS, Louis Harris) et publiés dans la presse jouent aussi un rôle important dans l’activité gouvernementale par leur capacité à faire naître un sentiment d’urgence sur certains sujets dont l’importance n’avait pas été réellement comprise mais qui apparaissent tout à coup comme des dossiers brûlants. Ainsi, les sondages aident les hauts fonctionnaires et les ministres à se repérer dans un univers social mouvant, ils jouent le rôle d’un soutien psychologique au moment de prendre des décisions cruciales. Pour autant, la prise en compte des attentes des électeurs par les différents acteurs politiques n’est pas toujours effective. Elle augmente avec l’approche d’une échéance électorale pour atteindre un niveau maximal au moment des campagnes électorales. Dans ce cas, les sondages d’opinion aident les candidats à mieux cerner le profil de leurs électeurs. Ils renseignent sur les attentes et les préoccupations de l’électorat, sur la façon dont il apprécie le bilan des sortants et sur le jugement qu’il porter sur le différents candidats. C’est en grande partie à partir de cette connaissance que les stratégies de campagnes sont élaborées.    
Les sondages électoraux ont également une grande importance sur le déroulement des campagnes électorales. Ils renseignent les candidats sur leurs chances de victoire et sur les écarts avec les autres candidats. Cette connaissance modifie le comportement de chacun des candidats. Un candidat ne se comporte pas de la même façon selon que les sondages d’intention de vote le présentent comme le favori ou comme un simple outsider. Il adapte sa stratégie, son discours, son image, son programme en fonction de sa position et de celle des autres. Ainsi, lors de l’élection présidentielle de 1995, Raymond Barre et VGE, informés du faible enthousiasme que suscitait leur candidature ont préféré se retirer de la compétition électorale.
En définitive, l’influence de l’opinion à travers les sondages est réelle. Elle est cependant indirecte. En effet, elle est liée aux commentaires qu’ils engendrent et aux réactions des hommes politiques. La prise en compte de la volonté de la rue manifeste son importance dans le jeu politique.   
Toutefois, hormis les sondages, l’opinion peut faire connaître plus directement ses aspirations aux dirigeants politiques par le biais des manifestations et mouvements de rue. Depuis la fin du 19ème siècle, la rue est le lieu d’expression de groupes sociaux revendicatifs, les ouvriers puis les paysans, puis toutes les catégories de citoyens qui ont une revendication à faire connaître au gouvernement. Plusieurs exemples peuvent être cités de manifestations de l’opinion dans son ensemble qui ont amené le pouvoir politique à modifier son comportement. Tel a été le cas au moment des événements de mai 1968 qui apparaissent à la fois comme une critique de la société de consommation, une contestation du pouvoir (en fait de toute forme de pouvoir et pas seulement du pouvoir politique) et une récusation du savoir. Tel a également été le cas en 1984 lorsque les socialistes envisageaient la suppression de l’enseignement privé et que plusieurs centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour défendre la liberté de l’enseignement contraignant le ministre de l’éducation nationale à la démission et au retrait de son texte. Dans ce cadre, l’opinion apparaît comme un groupe de pression d’un genre particulier parce qu’il regroupe plusieurs catégories socioprofessionnelles et des individus qui, au premier abord, n’ont aucun intérêt commun. L’efficacité de son intervention en tant que force politique dépend alors de sa capacité à se mobiliser durablement.   

II – Le droit face aux progrès de la science

A – L’avortement
Aujourd’hui, le droit à la vie se trouve communément protégé dans l’ensemble des constitutions d’Europe et s’accompagne, la plupart du temps, d’une protection de l’intégrité physique. Pour ne donner que quelques exemples, l’article 2.2 de la Loi fondamentale allemande du 24 mai 1949 dispose « Chacun a droit à la vie et à l’intégrité physique », l’article 15 de la Constitution espagnole du 27 décembre 1978 contient « Tous ont droit à la vie et à l’intégrité morale », l’article 40-3 2° de la Constitution irlandaise du 1er juillet 1987 affirme que l’État assure contre « les attaques injustes, la vie, la personne, l’honneur et les droits de propriété », l’article 24, alinéa 1, de la Constitution portugaise du 2 avril 1976 énonce que « la vie humaine est inviolable ». Néanmoins, cette protection n’est pas toujours formalisée implicitement dans les textes suprêmes : aucun article de la Constitution française du 27 octobre 1958 ne contient le droit à la vie, pas plus que dans les constitutions autrichienne, belge, danoise, italienne, néerlandaise ou suédoise. La protection de cette valeur suprême qu’est la vie et de l’intégrité du corps humain, son corollaire, émane alors de la philosophie de l’ensemble du texte et dépend de son interprétation par le juge constitutionnel. La protection étatique du droit à la vie est d’ailleurs dictée par les textes internationaux. L’article 2 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme assure que « le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi », elle reprend les termes de la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 pour qui « Tout individu a droit à la vie » et suit l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : « Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi ».
  Or, les mœurs sexuelles ayant évolué, le débat de la dépénalisation de l’avortement a été ouvert dans presque tous les pays occidentaux, il y a plus d’une vingtaine d’années. Outre l’interdiction religieuse portant sur le respect de la vie dès son commencement, le législateur s’est parfois heurté à certaines dispositions constitutionnelles contenant le même principe de protection. Le juge constitutionnel a ainsi été sollicité pour opérer un arbitrage entre les droits fondamentaux. C’est d’outre-Atlantique qu’est venue l’impulsion qui conduisit le juge constitutionnel à prendre position sur le droit à la vie à travers l’Europe. Le point de départ de l’évolution constitutionnelle réside, de ce fait, dans l’arrêt Roe v. Wade de la Cour suprême américaine où est affirmé un droit général à l’avortement tout en assurant « un équilibre entre, d’une part les droits du fœtus en développement et la nécessité d’assurer la sécurité médicale de l’acte d’avortement et d’autre part, le droit de la femme à sa vie privée ».
Ainsi, de 1973 à 1984, se succèdent les décisions constitutionnelles tranchant ce délicat problème éthique et social de la dépénalisation ou de la libéralisation totale de l’interruption volontaire de grossesse : la Cour constitutionnelle autrichienne (11 octobre 1974), le Conseil constitutionnel français (15 janvier 1975), la Cour constitutionnelle italienne (18 février 1975), la Cour constitutionnelle allemande (25 février 1975), la Cour suprême de Norvège (1983), le Tribunal constitutionnel portugais (19 mars 1984), le Tribunal constitutionnel espagnol (27 juin 1984). D’autres pays ont suivi plus tardivement, dans le début des années 1990 : Canada, Hongrie, Pologne… Aucun de ces États n’a autorisé une libéralisation complète de l’avortement, considérant qu’elle entrerait en profonde contradiction avec le droit à la vie, droit protégé par l’ensemble des constitutions européennes.
Ces débats législatifs, puis constitutionnels, ont souvent été passionnés et ont conduit à d’importantes confrontations. En Belgique, le Roi Baudouin, n’ayant pas voulu promulguer la loi du 3 avril 1990 relative à l’interruption volontaire de grossesse, a été menacé de perdre son trône. Il s’est trouvé momentanément empêché par le Parlement Belge qui ne lui a restitué ses pouvoirs qu’après la promulgation. La Belgique n’est pas le seul pays où le problème de la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse ait soulevé des querelles et chaque État détient un épisode important de son histoire constitutionnelle en la matière. Il n’est pas possible de les aborder tous, mais ces pays peuvent être classés en fonction de leur position sur la valeur de la vie embryonnaire. On peut d’abord observer des pays, tels que la France et les États-Unis, qui mettent en place une conciliation entre le droit à la vie de l’être à venir et le droit de la femme sur son corps, l’un primant alternativement sur l’autre en fonction de la maturité du nasciturus (I). Il existe ensuite des pays, comme l’Irlande qui nie l’intégrité corporelle de la femme, qu’elle que soit sa situation, pour accorder un droit absolu à la vie de l’enfant à naître (II).

a – La France
L’avortement a longtemps été considéré comme un crime en France, puisque l’article 317 du Code pénal de 1810 le punissait d’une réclusion à perpétuité. Cette situation a perduré jusqu’à la loi du 31 juillet 1920 interdisant les pratiques abortives, contraceptives et leur publicité. Elle a toutefois produit l’effet inverse de celui escompté et a abouti à la loi du 27 mars 1923 correctionnalisant l’avortement. Un décret-loi du 29 juillet 1939 a aggravé les sanctions mais admis implicitement la licéité de l’interruption de grossesse thérapeutique. Avec la loi du 15 décembre 1942, l’avortement devient un crime contre la nation, puni de la peine capitale. C’est uniquement avec la IVème République que la législation s’assouplit, puisque la loi du 11 mai 1955 autorise l’avortement thérapeutique quand la vie de la mère est en danger.
Il faut toutefois attendre la très célèbre loi du 17 janvier 1975 pour que l’interruption volontaire de grossesse soit dépénalisée, sous certaines conditions toutefois. La loi de 1975 était prévue au départ pour n’être appliquée que cinq ans, la loi Pelletier du 31 décembre 1979 est venue ensuite la pérenniser. La loi Roudy du 31 décembre 1982 a permis le remboursement de l’intervention par la Sécurité sociale. La loi du 16 janvier 1993 comporte, sur proposition de Véronique Neiertz, à la fois l’abrogation de la disposition du Code pénal sanctionnant l’auto-avortement et instaure l’article L. 2223-2 du Code de la santé publique qui établit le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse. Enfin, la loi du 4 juillet 2001 a fait passer de 10 à 12 semaines le délai l’égal d’interruption volontaire de grossesse et permet à la mineure de se passer du consentement de ses parents.
On constate ainsi que, du crime au délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, en passant par le remboursement par la Sécurité sociale, la question de l’avortement a énormément évolué. Le Conseil constitutionnel a eu à se prononcer en 1975, en 1993 et en 2001 sur l’interruption volontaire de grossesse : il a consacré un droit relatif de l’embryon à vivre. Le droit à la vie ne se trouvant pas dans la Constitution, le Conseil aurait pu contrôler la conformité de la loi à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, ce qu’il a refusé de faire ; seul le Conseil d'État a effectué ce contrôle de conventionnalité. Ces deux jurisprudences tracent en France une évolution de l’interruption volontaire de grossesse vers une faculté de plus en plus large accordée à la femme, qui induit un déclin de la valeur accordée à la vie embryonnaire.
L’interruption volontaire de grossesse lorsqu’elle a été dépénalisée en 1975 ne l’a été que sous le respect de conditions strictes, afin de protéger la vie de l’embryon. Simone Veil, à l’origine de cette loi, l’affirmait elle-même en ces termes : « Je le dis avec toute ma conviction : l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issues ». L’avortement ne devait pas être un droit accordé à la femme, mais simplement la prise en compte de sa détresse et la volonté de ne pas lui imposer une grossesse qui soit une trop lourde épreuve. C’était reconnaître que, dans certains cas extrêmes, le droit de la femme sur son corps est supérieur à la vie de l’embryon. Cette évolution importante de la valeur accordée à la vie embryonnaire correspond à l’abandon d’un droit absolu à la vie pour l’enfant à naître.
Auparavant, seule la mise en danger de la vie de la mère pouvait entrer en concurrence avec la vie prénatale. L’interruption de grossesse en cas de détresse va au-delà de la mise en concurrence de deux droits à la vie, il met sur le même plan le droit à la vie avec le droit à l’intégrité physique ou la liberté individuelle. Les lois de 1975, 1993, 1994 et 2001 ont donné l’occasion au Conseil constitutionnel de rendre quatre décisions en la matière. Or, la Haute juridiction a, chaque fois, suivi le législateur alors que les lois successives ont de plus en plus porté atteinte à la vie de l’enfant à naître. Ce droit à la vie prénatale loin d’être une composante de la dignité humaine, comme c’est le cas en Allemagne où il a un caractère absolu, est devenu de plus en plus relatif. Si le Conseil constitutionnel a ainsi suivi la volonté du législateur c’est essentiellement parce que la Constitution ne contient pas expressément de norme protégeant la vie.
Dans la décision n°74-54 DC du 15 janvier 1975, la Haute juridiction a, pour la première fois, utilisé la formule selon laquelle « l’article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen ». De nombreuses fois reprise par la suite, cette formulation est placée en tête de la décision pour marquer clairement le rôle du Conseil. Il ne doit pas trancher le débat politique (voire, en l’espèce, religieux ou philosophique), mais agir comme un juge de la constitutionnalité de la norme, c’est-à-dire résoudre un conflit de norme et non affirmer le caractère absolu de tel ou tel droit fondamental. Le Conseil constitutionnel se démarque bien du travail législatif et laisse aux parlementaires la responsabilité des choix politiques, tels que ceux résultant de la limitation de certains droits fondamentaux. Le Conseil réduit lui-même son rôle au contrôle de constitutionnalité, il cadre ses fonctions sur le texte constitutionnel. La suite de la décision lui permet d’ailleurs de préciser ce cadre d’action puisqu’il l’étend à l’examen de la conformité au Préambule de 1946, mais en exclut le contrôle de conventionnalité. Ce refus du Conseil de contrôler la conformité de la loi aux traités ou accords internationaux est un des éléments marquants de la jurisprudence de la Haute juridiction, puisqu’il a permis de délimiter le bloc de constitutionnalité. Le droit à la vie n’étant pas directement inscrit dans la Constitution, les parlementaires auteurs de la saisine entendaient que le Conseil fasse respecter au législateur l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ils rappelaient que l’article 55 de la Constitution pose la primauté du droit international et que la CEDH, régulièrement ratifiée et publiée, a force obligatoire en France. L’embryon ayant droit à la vie suivant l’article 2, la loi dépénalisant l’avortement aurait violé la Convention européenne. Face à cette argumentation le Conseil a relevé qu’il ne lui appartient pas « lorsqu’il est saisi en application de l’article 61 de la Constitution, d’examiner la conformité d’une loi aux stipulations d’un traité ou d’un accord international ». Toutefois, si la décision sur l’interruption volontaire de grossesse est orientée de la sorte sur le droit international, c’est qu’il n’existe aucune protection constitutionnelle directe du droit à la vie dans notre texte constitutionnel sur lequel les parlementaires auraient pu fonder leur saisine. Le Conseil se prononce néanmoins indirectement sur le droit à la vie, mais uniquement après avoir examiné la violation de l’article 2 de la Déclaration des droits de l'homme. Cet article n’était pas invoqué par la saisine, mais le Conseil relève que la loi ne viole ni la liberté de la femme (qui peut ou non recourir à l’avortement) ni celle des personnes participant à l’interruption volontaire de grossesse (celles-ci pouvant lever une objection de conscience afin de ne pas participer à cette intervention). La clause de conscience est ainsi constitutionnalisée par le Conseil constitutionnel.
La seule référence au droit à la vie se trouve dans le rappel fait par la Haute juridiction des termes de l’article 1 de la loi : « le principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie ». Elle relève que la loi n’est pas contraire à la Constitution car elle énonce le principe et pose les cas d’interruption volontaire de grossesse comme des exceptions strictement limitées au cas de détresse et sous les conditions qu’elle édicte. Toutefois, la démarche du Conseil constitutionnel peut paraître curieuse, puisqu’il se réfère au principe de respect de la vie comme s’il préexistait dans la Constitution, alors qu’il est uniquement rédigé dans la loi. On peut donc considérer que le Conseil sous-entend l’existence de ce principe constitutionnel, comme un principe non écrit de droit naturel. On peut aussi penser qu’il se réfère au principe de droit civil infans conceptus... Quel que soit le fondement retenu par le Conseil, il ne va pas jusqu’à constitutionnaliser clairement le droit à la vie, qu’il présente pourtant comme un principe essentiel.
Néanmoins, le Conseil constitutionnel n’était pas totalement dépourvu de base textuelle pour relever l’existence du droit à la vie de tous, comme de l’enfant à naître. Il aurait pu l’extraire d’une interprétation de l’alinéa 11 du Préambule de 1946, qui garantit à tous la protection de la santé. Finalement, la position du Conseil constitutionnel tient surtout au fait qu’il ne voulait pas s’opposer à l’action du législateur, ne se reconnaissant pas le même pouvoir d’appréciation et considérant que son rôle n’était pas d’intervenir dans un débat de société. Partant, il n’a que partiellement tranché le conflit de droit qui lui était présenté. Jugeant que la supériorité accordée par la loi à la liberté d’usage de son corps par la femme n’était qu’occasionnelle et soumise à d’importantes restrictions, il a supposé que le principe de respect de la vie était assuré. Cette position du juge constitutionnel français se trouve à mi-chemin entre la position allemande, où la Cour a écrasé la volonté parlementaire en affirmant le caractère absolu du droit à la vie, et la position américaine, où la Cour suprême a délimité temporellement l’emprise de la mère sur le droit à la vie de l’enfant qu’elle porte. Le Conseil constitutionnel n’ayant pas attribué de hiérarchie entre le droit à la vie et le droit  l’intégrité corporelle en 1975, le législateur a donc pu, par la suite, faire évoluer les droits de la femme sur son corps au détriment de la vie embryonnaire.
Après avoir été pérennisée en 1979, l’interruption volontaire de grossesse a été reconnue comme un acte remboursable par la Sécurité sociale en 1982, ce qui assure un effort de solidarité financière de la nation pour aider non seulement les femmes dont la grossesse met la vie en danger, mais également celles en état de détresse. Toutefois, c’est en 1993, soit près de vingt ans après, que le législateur a, une nouvelle fois, fait progresser la pratique de l’avortement. Cette loi n°93-121 du 27 janvier 1993, portant diverses mesures d’ordre social, a modifié l’article 223-12 du nouveau Code pénal issu de la loi n°92-684 du 22 juillet 1992 qui punissait l’interruption de grossesse pratiquée par la femme sur elle-même, de deux mois d’emprisonnement et de 25 000 francs d’amende, étant précisé que le tribunal pouvait ne pas appliquer ces peines en cas de détresse de la femme et suivant sa personnalité. Cette condamnation n’était donc plus qu’une condamnation de principe qui a été complètement levée en 1993. La femme peut donc, depuis cette date, pratiquer l’auto-avortement, c'est-à-dire contourner les cas restrictifs d’accès à l’interruption volontaire de grossesse posés par la loi de 1975.
Cette libéralisation de l’auto-avortement a soulevé d’importantes critiques et la loi a été soumise au Conseil constitutionnel qui s’est prononcé dans une décision n°92-317 DC du 21 janvier 1993. Les sénateurs auteurs de la saisine considéraient que cette loi présentait un détournement de la procédure législative, grief que le Conseil a écarté, estimant que le texte d’abrogation n’était pas sans lien avec le projet de loi en discussion, puisqu’il contenait également des dispositions tendant à incriminer l’entrave à l’interruption volontaire de grossesse. Sur le fond, le Conseil constitutionnel a jugé que la dépénalisation de l’auto-avortement ne privait aucun principe constitutionnel de garanties légales. Cette décision permet alors de préciser que le respect de la vie dès son commencement n’est, en France, qu’un principe législatif. Le législateur est donc autorisé à le limiter, notamment en lui préférant la liberté de la femme. La loi du 4 juillet 2001 modifie, dans son article 2, l’article L. 2212-1 du code de la santé publique qui prévoit désormais : « La femme enceinte que son état place dans une situation de détresse peut demander à un médecin l’interruption volontaire de grossesse. Cette interruption ne peut être pratiquée qu’avant la fin de la douzième semaine de grossesse ». L’intervention législative de 2001 favorise, ainsi, encore d’avantage l’accession à l’interruption de grossesse par l’extension du délai légal mais aussi par les conditions d’accès facilitées pour les mineures. L’article L.2212-3 du code de la santé publique prévoit toujours que le médecin remet à la patiente, lors de la première visite, un dossier-guide exposant les conditions de réalisation de l’acte, mais il n’est plus prévu qu’y figure l’énumération des droits, aides et avantages garantis par la loi aux familles, aux mères, célibataires ou non, et à leurs enfants, ainsi que des possibilités offertes par l’adoption de l’enfant à naître. L’article L.2214-4 du même code préserve la consultation préalable à caractère social mais limite son obligation aux mineures non émancipées. Pour les auteurs de la saisine, ces modifications ne permettaient plus à la femme concernée de donner un consentement libre et éclairé et portaient atteinte à son droit de ne pas avorter, les alternatives ne lui étant plus aussi nettement exposées. La loi aurait alors méconnu le principe à valeur constitutionnelle de la liberté individuelle. Le Conseil constitutionnel a, de la sorte, eu une nouvelle occasion d’intervenir sur la conception française du droit à la vie dans la décision n°2001-446 DC du 27 juin 2001 et a rejeté ces arguments : la consultation est proposée à la femme, elle peut y accéder si elle le souhaite et prendre ainsi sa décision en connaissance de cause. Son consentement à l’acte est pleinement acquis et la liberté de la femme est sauvegardée. Le Conseil constitutionnel reconnaît ainsi que les droits de la femme sur son corps peuvent primer sur la vie utérine dans les douze premières semaines. Il confirme sa position antérieure selon laquelle la vie embryonnaire n’a qu’une valeur relative. On peut même voir, dans cette extension du délai de l’interruption volontaire de grossesse, une fragilisation accrue de la vie prénatale et se demander quelles seraient les limites posées par le Conseil constitutionnel au pouvoir d’appréciation du législateur en la matière. Où se trouverait la rupture dans l’équilibre établi entre les droits de la femme et le droit à la vie ?
Ce droit de la femme à l’avortement comme une liberté d’usage de son corps a évolué avec les mœurs, mais aussi avec les avancées technologiques ; ainsi, l’apparition de la “pilule du lendemain”, en permettant de pratiquer l’avortement sur un embryon de quelques heures, rend l’intervention beaucoup plus banale et facile. En effet, le Professeur Étienne-Émile Baulieu a mis au point, dans les années 80, une molécule dont le caractère antagoniste avec la progestérone, provoque l’interruption de la grossesse, car son absorption empêche l’organisme de conserver l’embryon, en interrompant la nidation comme lors d’une fausse couche spontanée. Il s’agit de la Mifépristone dite RU 486. Cette technique présente l’avantage d’offrir une méthode abortive simple et peu coûteuse aux pays du tiers monde. L’Assemblée du contentieux du Conseil d'Etat est intervenue le 21 décembre 1990, dans les arrêts Confédération nationale des Associations familiales catholiques et Associations pour l’objection de conscience à toute participation à l’avortement et autres, sur le contentieux des modalités d’utilisation de la Mifépristone et a été amenée à se prononcer sur la valeur de la vie embryonnaire, les requérants ayant soulevé la méconnaissance de la législation relative à l’interruption volontaire de grossesse et la violation de l’article 2 de la C.E.D.H. par la loi de 1975. Le Conseil d'État rappelle que l’utilisation du RU 486 est soumise de plein droit à la législation de 1975 et qu’elle n’en méconnaît pas les conditions, puisque celles-ci sont rappelées dans l’autorisation de mise sur le marché. De plus, la prescription est réservée aux médecins pouvant pratiquer l’avortement et exerçant dans un établissement autorisé. On ne peut donc pas, objectivement, craindre une utilisation abusive de la pilule abortive. L’utilisation du RU 486 ne facilite pas plus que ne le fait la loi elle-même, les conditions d’avortement ; comme elle, elle permet une interruption volontaire de grossesse dans les dix premières semaines sur convenance de la femme. Ce n’est pas l’autorisation de mise sur le marché qui atteint au principe du respect de la vie, mais la loi de 1975. les requérants invoquent également la violation de l’article 2 de la C.E.D.H. et de l’article 6 du Pacte international sur les droits civils et politiques. un considérant de principe sans surprise : « eu égard aux conditions ainsi posées par le législateur, les dispositions issues des lois des 17 janvier 1975 et 31 décembre 1979 relatives à l’interruption volontaire de grossesse, prises dans leur ensemble, ne sont pas incompatibles avec les stipulations précitées de la Convention européenne des droits de l’homme et du Pacte international sur les droits civils et politiques ». La Haute instance se range ainsi à l’analyse majoritaire donnée en Europe de l’article 2 de la C.E.D.H.
Le Conseil constitutionnel, le Conseil d'État et la Cour de cassation ont donc fourni tous les trois la même interprétation des lois de 1975 et 1979, à savoir que le respect de la vie est un principe relatif qui n’empêche pas l’interruption volontaire de grossesse ; l’avortement est ainsi reconnu comme un droit encadré de la femme sur son corps. Dans d’autres pays le débat autour de l’avortement s’est résolu, provisoirement, de manière différente, notamment aux Etats-Unis et en Irlande.

b – Les Etats-Unis
Les États américains continuèrent d’appliquer, après la révolution, la common law anglaise où l’avortement n’était pas considéré comme une infraction grave. Calquée sur le droit canonique, elle n’incriminait pas l’avortement volontaire lorsqu’il était pratiqué avant les “secousses” (moment à partir duquel la mère commence à sentir bouger le fœtus, entre la seizième et la dix-huitième semaine). Après cette période, il était considéré comme un simple méfait et les poursuites n’étaient engagées qu’envers les personnes ayant pratiqué l’interruption et non contre la mère. Il faut rappeler qu’à cette époque le taux de mortalité des femmes subissant un avortement était très élevé, c’est pourquoi les premières législations votées pour le réglementer l’ont été dans l’intérêt de la mère.
Le premier texte américain en la matière a été pris par le Connecticut en 1821 et se résumait à une interdiction de l’utilisation de poisons dangereux comme abortifs. Il fallut attendre 1840 pour que huit États adoptent une législation similaire. Dès 1857, sous l’impulsion des médecins et particulièrement de l’Association Médicale Américaine, la question du respect de la vie humaine, représentée par le fœtus, fut placée au premier plan. En 1880, cette pression avait conduit à l’adoption de plus de quarante textes pris par les États prohibant l’avortement. L’avortement était alors toléré seulement pour sauver la vie de la mère, et restait interdit dans tous les autres cas, avant comme après les secousses. Cette position législative eut comme effet pervers d’augmenter considérablement le nombre d’avortements clandestins et de conduire les médecins à détourner la loi.
Cette situation se maintint pendant un siècle, mais dans les années 1950-1960, à nouveau, sur la pression des médecins, la légitimité des avortements pratiqués sur des fœtus anormaux fut soulevée. Deux crises médicales internationales étaient à cette origine. D’abord celle déclenchée par la prise de thalidomide, un tranquillisant entraînant d’importantes malformations chez le fœtus. Ce médicament, commercialisé uniquement en Europe, avait été absorbé par une américaine, Madame Finkbine, dont le mari revenait du vieux continent. Elle obtint la possibilité de se faire avorter dans un hôpital américain, mais ayant fait connaître sa situation pour en faire bénéficier d’autres femmes, on s’interrogea sur la possibilité d’obtenir un avortement légalement alors que sa vie n’était pas en danger. L’hôpital incriminé retira donc l’autorisation préalablement accordée et Madame Finkbine dut se rendre en Suède pour pouvoir avorter. La deuxième crise fut soulevée par l’épidémie de rubéole de 1962-1965 qui conduisit à donner naissance à 15 000 bébés sourds, aveugles et déficients mentaux. De nombreux médecins pratiquèrent illégalement des avortements sur des mères ayant contracté la rubéole. La première condamnation pénale d’un médecin fut ainsi proclamée dans le Minnesota.
  A partir de cette époque commença un important débat public entre opposants à l’avortement, essentiellement l’Église catholique, et militants de la dépénalisation, composés de médecins et de mouvements de femmes très nouvellement créés. En 1969, fut constituée l’Association nationale pour l’abrogation des lois sur l’avortement, qui défendait le choix d’avorter comme devant être laissé à la femme seule. En 1970, Hawaii devint le premier État à adopter une législation permettant d’obtenir l’avortement sur demande durant les vingt premières semaines. L’État de New York suivit, la même année, en autorisant l’avortement jusqu’à la vingt-quatrième semaine, puis l’Alaska jusqu’à la viabilité du fœtus. A la veille de la décision de la Cour suprême fondatrice de la position constitutionnelle américaine sur l’avortement, quatorze États avaient adopté une législation relative à l’interruption volontaire de grossesse, sur le modèle proposé par la Conférence nationale des Commissaires à l’uniformisation du droit des États, qui autorisait l’avortement jusqu’à la vingtième semaine. Mais certaines Cours suprêmes fédérées s’étaient aussi prononcées sur l’inconstitutionnalité de telles lois, au vu de la Constitution (fédérée comme fédérale).
L’opinion publique attendait donc la position de la Cour suprême fédérale, sur ces diverses législations fédérées, afin de connaître l’interprétation qui serait donnée de la Constitution sur la protection de la vie prénatale. La Cour suprême rendit une décision en 1973, Roe v. Wade, qui établit un droit constitutionnel de la mère à avorter. Cette position a été maintenue jusqu’à présent, mais un arrêt Planned Parenthood of southeastern Pennsylvania v. Casey de 1992 l’a considérablement aménagée.
Toute l’originalité de la décision Roe v. Wade réside dans le fait que la Cour suprême ait considéré que le droit à la vie privée de la femme ne pouvait être respecté que si on lui accordait un droit à l’avortement. Le débat constitutionnel sur l’avortement n’est pas axé, comme en Europe, sur l’arbitrage entre le droit à la vie de l’embryon et le droit de la femme sur son corps, mais entre les intérêts que défend l’État (ici la vie prénatale) et la sphère d’intimité de la femme à laquelle participe son intégrité corporelle. Ainsi, la Cour a affirmé qu’il était nécessaire « d’assurer un équilibre entre d’une part les droits du fœtus en développement et la nécessité d’assurer la sécurité médicale de l’acte d’avortement et, d’autre part, le droit de la femme à sa vie privée ». Elle a également reconnu que cet équilibre varie avec l’avancement de la gestation, c'est-à-dire avec la capacité du fœtus à vivre en dehors du corps de sa mère. Loin de poser uniquement des principes généraux et théoriques, elle a concrétisé l’arbitrage opéré en découpant la grossesse en trois trimestres durant lesquels les droits des deux protagonistes varient.
Durant le premier trimestre, le droit de la femme à l’avortement est absolu, car l’embryon n’a pas la possibilité de survivre par lui-même, sa vie est totalement dépendante de celle de sa mère. De plus, durant ce terme, l’interruption de la grossesse présente un risque moindre. Pendant cette première période l’État ne peut pas interférer dans la sphère privée de la femme, la décision d’avorter devant être prise par elle seule avec l’aide de son médecin. Durant le deuxième trimestre, l’équilibre entre la volonté de la mère et la vie de l’enfant à naître est délicat, aussi la Cour autorise-t-elle l’État à poser certaines conditions restrictives à l’interruption volontaire de grossesse. Enfin, au cours du troisième trimestre, l’équilibre est modifié au profit du fœtus ; celui-ci pouvant éventuellement survivre en dehors de la matrice, l’État est donc autorisé à réglementer l’avortement jusqu’à l’interdire. La Cour différencie ainsi entre l’embryon, le fœtus et l’enfant potentiel, accordant une valeur différente à la vie pour chacun de ces trois stades de l’évolution humaine in utero.
A partir de 1973, la jurisprudence Roe a fait l’objet de tentatives pour en limiter la portée et de nombreuses lois ont été soumises à la Cour suprême, lui donnant ainsi l’opportunité de préciser sa position par touches jurisprudentielles successives. Ainsi, l’affaire Doe v. Bolton, concomitante de Roe, a permis de préciser que l’avis du médecin constitue le seul contrôle autorisé sur la décision de la femme durant le premier trimestre ; lors du deuxième, la Cour suprême tolère uniquement les réglementations en rapport avec la sécurité médicale, les réglementations en rapport avec la santé du fœtus étant réservées au troisième trimestre. Pour ne citer que quelques exemples : en 1979, dans l’affaire Colautti v. Fanklin, la Cour a invalidé une loi qui retirait au médecin traitant la possibilité d’établir le stade de viabilité du fœtus pour pouvoir appliquer un avortement dans les termes de la jurisprudence Roe. En 1983, l’affaire Ville d’Akron v. Centre pour la santé procréative d’Akron conduisit la Cour suprême à annuler les dispositions d’un règlement municipal. Ce dernier obligeait l’hôpital pratiquant l’avortement pendant le deuxième trimestre à imposer un délai de 24 heures entre la décision et l’intervention et prescrivait au médecin d’indiquer à la femme les difficultés de l’avortement ainsi que les alternatives auxquelles elle avait droit, en lui précisant de surcroît, que l’embryon est un être humain dès sa conception.
La concession majeure faite par la Cour suprême se fit en matière de financement de l’interruption volontaire de grossesse. Au plan fédéré, en 1977, affaire Poelker v. Doe, la Cour releva qu’un hôpital public municipal n’était pas obligé de pratiquer des avortements non thérapeutiques gratuits sous le prétexte qu’il offrait des accouchements gratuits. Au plan fédéral, en 1980, dans l’affaire Harris v. Mc Raeb, la Cour suprême valida l’amendement Hyde par lequel le Congrès interdisait l’utilisation de l’aide médicale pour financer les interruptions volontaires de grossesse, sauf pour sauver de la vie de la mère, ou si la grossesse résultait d’un viol ou d’un inceste.
La jurisprudence Roe est donc restée très vivace jusqu’à la fin des années 80. On attendait alors des juges conservateurs nouvellement nommés qu’ils insufflent un revirement jurisprudentiel. L’arrêt Planned Parenthood of southeastern Pennsylvania v. Casey de 1992 est marqué par le préambule que lui a donné le juge O’Connor : « La liberté ne trouve pas refuge dans une jurisprudence qui doute ». La Cour devait examiner la loi de Pennsylvanie relative à l’avortement. Cette loi imposait certains signalements aux établissements pratiquant les avortements et demandait aux femmes de produire un consentement écrit et éclairé (ce qui obligeait la femme à prendre connaissance de textes favorables à la vie). La mineure devait obtenir un consentement soit de l’un au moins de ses parents, soit d’une procédure judiciaire. La femme mariée devait attester par écrit avoir informé son mari de son intention d’avorter (ce qui a été considéré comme une contrainte indue). Les neufs juges étaient très partagés sur la solution à adopter : les juges Blackmun et Stevens souhaitaient déclarer plusieurs des dispositions législatives inconstitutionnelles, le Président, les juges Scalia, Thomas et White désiraient valider toutes les dispositions. Les juges O’Connor, Souter et Kennedy, qui signèrent la décision dans son ensemble, approuvèrent l’ensemble des dispositions sauf celle relative à la notification de son intention par la femme à son mari. Les trois juges réaffirmèrent ainsi la base de la jurisprudence Roe, mais ils en reformulèrent les modalités en posant trois principes : d’abord, le droit de la femme de choisir d’avorter avant le stade de viabilité et d’obtenir l’avortement sans interférence injustifiée de l’État, ensuite, le pouvoir de l’État de restreindre les possibilités d’avortement au-delà du point de viabilité, si la loi détermine des exceptions relatives aux grossesses mettant en danger la vie ou la santé de la mère, et enfin, l’intérêt légitime de l’État, dès le commencement de la grossesse, à protéger la santé de la mère et la vie du fœtus susceptible de devenir un enfant.
Cette nouvelle jurisprudence relative à l’avortement repose donc sur l’interprétation faite par la Cour des obstacles effectifs à la liberté d’avorter ou de l’existence de contraintes justifiées ou non. Il s’agit toutefois d’une solution très frêle puisqu’elle est loin d’être fondée sur une opinion solidaire des juges suprêmes. Elle peut donc être sujette à une nouvelle évolution en fonction des modifications de la composition de la Cour, chaque nouvelle nomination laissant présager d’un renforcement des conditions d’interruption volontaire de grossesse, voire de la remise en cause de la liberté d’avorter. Néanmoins, les États-Unis sont un des rares pays à reconnaître une liberté d’avorter lors des premières semaines ; d’autres, comme l’Irlande établissent le postulat contraire, celui de la suprématie de la vie prénatale.

c – L’Irlande
Le problème de l’interruption volontaire de grossesse se résume dans celui de la confrontation des droits fondamentaux : l’intérêt du cas de l’Irlande est que cette confrontation ne se place pas, comme dans les autres pays, entre des droits nationaux, mais entre le droit national et international. La Constitution irlandaise dispose que « l’État reconnaît le droit à la vie de l’enfant à naître et, tout en tenant compte du droit égal à la vie de la mère s’engage à respecter et à défendre ce droit dans sa législation dans la mesure du possible ». Cette disposition émane du pouvoir constituant dérivé exprimé par voie référendaire en 1983. Alors que dans la plupart des pays d’Europe c’est le juge constitutionnel qui a tranché la question de l’arbitrage des droits fondamentaux, en Irlande, à la même époque, c’est le peuple qui a été consulté. En 1983, c’est donc au rang constitutionnel qu’a été hissée la protection de la vie de l’enfant à naître. Ce droit s’inscrit dans une profonde tradition catholique dont toute la Constitution est empreinte, particulièrement concernant la protection des droits fondamentaux. L’Irlande a cependant adhéré à la Convention européenne des droits de l’homme, considérant que ce texte de droit international était directement compatible avec son droit national. Or, depuis une dizaine d’années, elle est condamnée par les instances européennes, se voyant obligée d’aller à l’encontre de ses valeurs fondamentales pour respecter ses engagements.
Rien, jusqu’à ces dernières années ne laissait en effet supposer que le principe constitutionnel irlandais du droit à la vie de l’enfant à naître pouvait entrer en conflit avec la Convention européenne des droits de l’homme, et encore moins avec les libertés communautaires telles qu’elles résultent du Traité de Rome. Mais, l’application de l’article 40.3.3 de la Constitution a donné lieu à deux séries d’actions, dont l’une a abouti à la saisine de la Cour de justice des communautés européennes par la voie préjudicielle, tandis que l’autre s’est achevée devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Introduite le 28 juin 1985, la première action, intentée par la S.P.U.C. devant la Haute Cour, visait à faire déclarer contraire à l’article 40.3.3 de la Constitution l’activité de deux associations, Open Door Counselling Ltd et Dublin Well Woman Ltd, qui consistait à fournir à des femmes enceintes des informations sur les possibilités de se faire avorter au Royaume-Uni. Le 19 décembre 1986, la Haute Cour conclut à l’inconstitutionnalité des activités en cause et rend une ordonnance interdisant toute diffusion en Irlande de telles informations. L’appel formé contre cette injonction est rejeté par la Cour suprême dans un arrêt du 16 mars 1988. Selon la Cour, l’activité des associations défenderesses prêtait assistance à la destruction de la vie d’enfants à naître, en violation de l’article 40.3.3 de la Constitution. La Cour a également estimé que l’existence d’un droit constitutionnel à l’information (garanti par l’article 40.6.1, al. i) ne permet nullement de justifier l’atteinte portée en l’espèce au droit à la vie de l’enfant à naître.
Or, c’est précisément sur ce terrain que se placèrent les associations requérantes devant les instances européennes. Elles alléguèrent, devant la Commission puis la Cour européennes des droits de l’homme, que l’injonction incriminée constituait une atteinte injustifiée à leur droit de recevoir ou de communiquer des informations et, de ce fait, violait l’article 10 de la Convention, arguments qui ont été retenus par la Commission comme par la Cour.
Parallèlement à cette procédure, la S.P.U.C. saisit la Haute Cour au sujet de publications destinées à donner, cette fois aux étudiants, des informations relatives à l’interruption volontaire de grossesse pratiquée au Royaume-Uni. Par jugement du 11 octobre 1989, la Haute instance décide de faire appel à la Cour de justice des communautés européennes par voie préjudicielle. Un arrêt du 19 décembre 1989 de la Cour suprême délivra l’injonction sollicitée par la S.P.U.C. et confirma la nécessité de poser au juge communautaire un certain nombre de questions préjudicielles, puisque les défendeurs soutenaient que l’interdiction des publications relatives à l’interruption volontaire de grossesse portait atteinte au principe de libre circulation des services, garantie par l’article 60 du Traité de Rome.
Si la Cour de justice jugea qu’en l’espèce il n’y avait pas violation du droit communautaire, en revanche, elle se déclara incompétente pour répondre à la question de savoir si, comme l’alléguaient les associations d’étudiants, l’injonction constituait une violation de la liberté d’expression au sens de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il faut dire qu’à l’époque de cet arrêt, le juge européen était saisi de la même question et conclut effectivement à la violation de cet article, dans l’arrêt Open Door et Dublin Well Woman c/Irlande, du 29 octobre 1992.
Le choix du dualisme rend ainsi particulièrement délicate la position de l’Irlande concernant l’interruption volontaire de grossesse. Toutefois, la Cour de justice des communautés européennes n’a pas considéré que l’interdiction faite sur le sol irlandais de promouvoir les avortements à l’étranger était contraire à la libre circulation des services. Mais, un an après l’arrêt S.P.U.C. c/Stephen Grogan et autres, l’Irlande a préfèré modifier sa législation plutôt que de risquer une condamnation de la Cour de justice des communautés. Il ne s’agit plus alors d’une interdiction d’information sur l’avortement, mais d’une limitation à la liberté de circulation des destinataires de services, puisque la Haute Cour irlandaise oppose une injonction à une jeune fille souhaitant se rendre en Grande-Bretagne pour y subir une interruption de grossesse.
L’arrêt The Attorney general v. X and others rendu par la Cour suprême irlandaise, le 5 mars 1992, permet de faire progresser le droit de l’avortement dans ce pays. La position de la Haute Cour, puis celle de la Cour suprême, ont entraîné une réforme constitutionnelle après consultation du peuple. En l’espèce, une jeune fille se retrouve enceinte après avoir été violée. En accord avec ses parents, elle décide de se rendre en Grande-Bretagne pour y subir une interruption volontaire de grossesse. Ces derniers se renseignent auprès des services de police sur la possibilité de faire des prélèvements sur le fœtus avorté pour confondre le violeur. La demande est transmise au Director of public prosecutions puis à l’Attorney general. Le 7 février 1992, celui-ci obtient de la Haute Cour une injonction interdisant à la jeune fille de quitter le territoire irlandais (et ce pendant les neufs mois suivants) pour avoir voulu attenter à la vie d’un embryon. L’injonction s’accompagne d’une interdiction à quiconque de pratiquer ou de faire pratiquer un avortement à la requérante.
Le jugement de la Haute Cour reconnaît d’abord la capacité de l’Attorney general de poursuivre la jeune fille. Le juge J. Costello se réfère à l’arrêt Attorney general v. Open Door Counselling Limited de 1988 où la Cour suprême avait démontré qu’il relevait des devoirs de l’Attorney general de saisir la Cour pour défendre le droit à la vie des embryons. Les appelants soutenaient la thèse selon laquelle le législateur n’ayant pas précisé les modalités d’application du huitième amendement à la Constitution (notamment l’ordre de préférence qui devait exister entre le droit à la vie de l’embryon et celui de la mère), la Cour ne pouvait pas s’y substituer en conciliant les deux droits dans l’affaire pendante. Pour la Haute Cour, le huitième amendement permet de protéger la vie de l’enfant à naître sans méconnaître les intérêts de la mère. En l’espèce, la vie de l’embryon était la plus menacée, la jeune mère, entourée de l’affection de ses parents, pouvant supporter cette épreuve sans que sa vie soit en danger.
La Cour conclut donc à son devoir de défendre le droit à la vie de l’enfant à naître garanti par l’article 40.3.3 de la Constitution, même en l’absence de législation en précisant la portée. Elle doit pour ce faire interpréter cet article. Pour le Chief justice Finlay, il ne fait aucun doute que la Constitution enjoint le juge de protéger le droit à la vie de l’enfant à naître, mais en tenant compte de celui de la mère, en tant qu’elle est un individu qui s’insère dans la société et fait partie d’une famille. Le Chief justice relève qu’en l’espèce, le droit à la vie de la mère est en danger réel, non pas du fait de la grossesse elle-même, mais de sa volonté de s’autodétruire. Contrairement à la position de la Haute Cour, la Cour suprême estime ce danger suffisant pour prendre en compte l’intérêt de la mère face à celui de l’enfant.
Il restait alors à la Cour à statuer sur la violation de la liberté d’aller et venir. Le juge Finlay rappelle l’importance fondamentale de ce droit qui ne doit souffrir aucune restriction. Cependant, si ce droit d’aller et venir d’une femme enceinte entre en conflit avec le droit à la vie de l’enfant à naître, ce dernier doit prendre le pas sur le premier. Se pose alors le problème de la violation du droit communautaire qui garantit la libre circulation des citoyens d’un État à l’autre de la Communauté pour y recevoir un service (article 59). Pour la Haute Cour, la protection de l’ordre public irlandais prévalait sur l’article 59 du Traité de Rome. La Cour suprême ne règle malheureusement pas ce conflit de normes. Elle se contente d’établir qu’en l’espèce, l’avortement est légal en Irlande puisqu’il est nécessaire de faire primer le droit à la vie de la jeune fille sur celui de l’embryon.
On ne peut comprendre la portée de cet arrêt sans le situer dans son contexte politique irlandais. L’année 1992 reste partout en Europe celle de la construction de l’Union. En Irlande, la ratification du Traité de Maastricht a entraîné deux débats cruciaux relatifs à la neutralité du pays et surtout à la libéralisation de l’avortement. La décision du juge de la Haute Cour, Costello, de prononcer une injonction à l’encontre de la jeune fille violée avait profondément ému l’opinion publique et embarrassé le Gouvernement à un tel point que, le jour suivant la décision, le Premier ministre avait réuni les différents leaders des partis politiques pour discuter des suites de l’affaire. L’Irlande entière attendait donc l’arrêt d’appel qui devait être rendu le 5 mars par la Cour suprême.
Cet arrêt marque une évolution décisive du droit de l’avortement en Irlande, puisque la Cour y rappelle que l’interdiction d’avorter sur le territoire national n’est pas absolue. Le droit de vivre de la mère prime celui de l’enfant, lorsque la poursuite de la grossesse s’accompagne d’un risque réel et substantiel pour la mère, la Cour précisant qu’il ne s’agit pas seulement de la santé physique de la mère, mais également de la détresse morale. Trois juges sur cinq (les juges Egan, Finlay, Hederman) spécifient néanmoins qu’une interdiction de se rendre à l’étranger peut être opposée à une femme voulant avorter, alors que sa vie n’est pas en danger. Dans ce cas, il n’est pas nécessaire, selon eux, de s’interroger sur la compatibilité de la législation irlandaise avec le droit communautaire. Si la Haute Cour avait opposé la protection de l’ordre public irlandais et la primauté du droit communautaire, la Cour suprême, elle, écarte la norme internationale face à l’article 40.3.3. Elle réaffirme ainsi « les termes du protocole 17 du Traité de Maastricht (selon lesquels) le droit communautaire ne pourra s’appliquer devant les tribunaux irlandais à des affaires d’avortement pour y limiter ou supprimer les conséquences de l’article 40.3.3 de la Constitution d’Irlande ».
En conséquence, il est important pour le Gouvernement irlandais de neutraliser les effets de la jurisprudence issue de l’affaire X, de garantir la liberté d’aller et venir des citoyens irlandais et de conforter l’adhésion du pays au droit communautaire. Après une vaine tentative gouvernementale de persuader les autres membres de la Communauté d’amender le protocole 17, la seule possibilité restait de rectifier l’article 40.3.3. Ainsi, le 25 novembre 1992, le peuple irlandais a été interrogé sur sa volonté d’amender la Constitution, afin de modifier le droit de l’avortement et le rendre plus conforme aux exigences communautaires. Le constituant a repoussé le douzième amendement à la Constitution portant sur le droit à l’avortement en cas de menace pour la vie de la mère. Ce refus place le droit irlandais en marge des autres législations européennes en la matière, en accordant une valeur supérieure à la vie de l’être futur sur celle de l’être déjà né. Ces amendements permettent de placer la Constitution irlandaise en concordance avec le droit communautaire, notamment pour la liberté d’aller et venir, la libre circulation des services, et des informations les concernant. Le Gouvernement est parvenu à contraindre les juridictions du pays à abandonner leur jurisprudence restrictive en matière d’avortement. Néanmoins, au-delà de la réduction de la fracture entre la norme interne et la norme communautaire, la position du peuple irlandais reste très en retrait de la position majoritaire européenne sur l’avortement. L’Irlande reste le seul pays, depuis la signature de la Convention européenne des droits de l’homme, à ne pas admettre la possibilité d’une interruption volontaire de grossesse lorsque la vie de la mère est en danger.
Si l’Irlande paraît faire quelques concessions au droit communautaire pour conforter sa position au sein de l’Union européenne, elle reste en revanche en opposition avec certaines normes de la Convention européenne des droits de l’homme, comme le révèle la Cour dans l’arrêt Open Door. L’arrêt Open Door a permis la condamnation de l’Irlande pour violation de la liberté d’expression, or cette condamnation découle d’un revirement ponctuel de la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’étendue de la liberté d’appréciation laissée à l’État en termes de morale.
L’article 10 de la Convention n’établit pas un droit absolu à la liberté d’expression. Il admet qu’elle soit réglementée, à condition que les restrictions soient prévues par la loi, et constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique à certaines fins légitimes énumérées dans la clause. L’ingérence doit donc être prévue par la loi, viser un but légitime et présenter un caractère de nécessité dans un État démocratique. La Cour ayant constaté que l’injonction du gouvernement irlandais portait atteinte à la liberté d’expression, examine la conformité de cette restriction selon les paramètres énoncés :
– « prévu par la loi » : Comme dans l’arrêt The Attorney general v. X and others, l’argumentation des associations repose sur l’absence de précision de la loi en la matière. L’article 40.3.3 de la Constitution ne précise pas qu’il est prohibé d’introduire des périodiques étrangers signalant les possibilités d’avorter hors de l’Irlande. La Commission avait, elle, finalement considéré que le droit interne était suffisamment précis. La Cour repousse cette argumentation, jugeant qu’il faut entendre le terme “loi” au sens large, c'est-à-dire comprenant la jurisprudence des tribunaux irlandais. De plus, le haut niveau de protection accordé à la vie de l’enfant à naître permettait aux requérants de prévoir les poursuites qu’ils encouraient.
– « but légitime » : La Cour analyse ici la position du droit irlandais face à l’interruption volontaire de grossesse. Elle rappelle le résultat du référendum de 1983 où le peuple irlandais s’était prononcé contre l’avortement. La Cour reconnaît que « la protection garantie par le droit irlandais au droit à la vie des enfants à naître repose (…) sur de profondes valeurs morales concernant la nature de la vie ». Aussi, la restriction poursuivait-elle le but légitime de protéger la morale.
– « nécessaire dans une société démocratique » : La Cour invoque sa jurisprudence selon laquelle elle reconnaît une large marge d’appréciation des États dans le domaine de la protection de la morale. Elle ne saurait cependant leur laisser « un pouvoir discrétionnaire absolu insusceptible de recours » en la matière. Il faut déterminer si la « mesure litigieuse répond à un besoin social impérieux et en particulier si elle demeure proportionnée au but légitime poursuivi ». Pour la Cour, il existe, en l’espèce, une disproportion entre l’injonction et la nécessité pour l’État irlandais de protéger la morale. En effet, il n’existe pas d’infraction en droit pénal irlandais, sanctionnant une femme étrangère se rendant en Irlande pour y subir un avortement. De plus, depuis l’arrêt  The Attorney general v. X, les femmes sont libres de se rendre à l’étranger pour y avorter. Enfin, cette injonction fait courir un risque supplémentaire pour la santé des femmes désirant avorter puisque, faute de conseils, elles le feront à un stade plus avancé.
De la sorte, la Cour prononce la violation de l’article 10, par 15 voix contre 8. C’est la première fois qu’elle juge non nécessaire la restriction en cause, dans une affaire d’atteinte à la liberté d’expression pour protéger la morale. Ce revirement de jurisprudence peut d’ailleurs être critiqué sur ces fondements. La jurisprudence Open Door s’explique ainsi uniquement par une volonté de la Cour de condamner l’Irlande sur sa position face à l’interruption volontaire de grossesse, sans avoir à se prononcer sur la délicate question de la protection de la vie de l’embryon. On peut regretter que la Cour n’ait pas pris ouvertement position sur l’avortement. Elle avait ici l’occasion de se prononcer en la matière, en définissant la portée des articles 2 et 8 de la Convention.
Ceux qui espéraient qu’à l’occasion de l’arrêt Open Door, la Cour se livrerait enfin à une interprétation de l’article 2 quant à ses implications en matière d’avortement, ont dû se contenter du faux-fuyant du juge européen : celui-ci est passé maître dans l’art d’esquiver cette question pour le moins délicate, si bien que, jusqu’à présent, il n’est pas possible de savoir si oui ou non, le droit à la vie consacré par la Convention s’applique à l’embryon humain. Les seules indications à ce sujet proviennent d’une décision de la Commission donnant une interprétation partielle et insuffisante de l’article 2 de la Convention. En effet, dans une affaire X c/Royaume-Uni de 1980, la Commission se borne simplement, après avoir souligné que le droit de toute personne à la vie ne semblait s’appliquer qu’après la naissance, à écarter l’interprétation qui consisterait à reconnaître au fœtus un droit à la vie de caractère absolu. Mais la solution ainsi retenue se limite à l’hypothèse de l’avortement thérapeutique, la Commission évitant soigneusement de se prononcer sur l’existence même d’un droit à la vie du fœtus au sens de la Convention.
L’arrêt Open Door n’a nullement permis de mettre fin à ce vide jurisprudentiel. En réponse au Gouvernement irlandais qui argumentait que l’injonction de la Cour suprême devait se lire à la lumière des articles 2, 17 et 60 de la Convention, la Cour a déclaré qu’elle n’était « pas appelée, en l’espèce à déterminer si la Convention garantit un droit à l’avortement ou si le droit à la vie, reconnu par l’article 2, vaut également pour le fœtus ». La Cour se soustrait habilement à l’interprétation qui lui est demandée grâce à la détermination du “but légitime” justifiant, aux termes de l’article 10, §2, l’ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression. Pour le juge européen, les restrictions prévues par le droit irlandais poursuivent le but de protéger « la morale, dont la défense en Irlande du droit à la vie de l’enfant à naître constitue un aspect ». La Cour écarte donc le jeu d’un autre but légitime, invoqué par le Gouvernement irlandais, la protection des droits d’autrui, afin de ne pas avoir à se prononcer sur le point de savoir si celle-ci englobe le droit de l’enfant à naître.
Toutefois, cet argument du but légitime aurait pu jouer, a contrario, en faveur de la protection des droits d’autrui dont le titulaire serait, cette fois, la mère. Faire primer la vie de l’embryon sur la santé de la mère peut, en effet, être considéré comme une violation des droits d’autrui. En poussant le raisonnement un peu plus loin, on peut également reprocher à la Cour de ne pas avoir fait appliquer l’article 2 pour protéger le droit à la vie de la mère. Une telle application de l’article 2 n’aurait posé aucune interrogation d’ordre philosophique ou religieuse puisqu’il est évident que l’article 2 concerne, au minimum, les personnes nées. Or, la législation irlandaise, en ne reconnaissant pas la possibilité pour une femme dont la vie est en danger d’avorter, porte atteinte au droit à la vie. Cette condamnation reste valable après la révision constitutionnelle de 1992. La possibilité de se rendre à l’étranger pour y avorter permet aux femmes dont la santé est en danger, de pouvoir sauver leur vie, toutefois, le fait de devoir se déplacer risque de retarder l’intervention, de la compliquer et la fait dépendre des moyens financiers des femmes.
L’analyse des affaires Open Door et Grogan permet de constater que, si l’Irlande répond de manière satisfaisante aux exigences communautaires (révision de la Constitution par voie de référendum en novembre 1992), on ne peut en dire autant pour ce qui est du droit de la Convention. Si le droit interne irlandais a subi une transformation structurelle pour accueillir l’ordre juridique communautaire, il est resté imperméable à la norme européenne, qui se heurte toujours aux effets de la tradition dualiste irlandaise. Finalement, les législations sur l’interruption volontaire de grossesse se résument à l’arbitrage entre la liberté de la femme et la valeur accordée à la vie humaine prénatale. Plus le terme passe, plus la valeur accordée à la vie du nasciturus croît et la liberté de la mère diminue, sauf pour les pays, comme l’Irlande, qui reconnaissent que la vie humaine possède la même valeur à tous les stades de son développement. Encore plus délicate est la question, posée par Hippocrate, de la fin de vie des malades et d’une éventuelle euthanasie.

B - Euthanasie
Même si les progrès de la science et de la médecine ont permis de perfectionner les méthodes, l’euthanasie était déjà connu dans l’Antiquité. pour cette raison, Hippocrate indiquait dans son serment « je ne remettrai à personne du poison si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion ».
Euthanatôs, en grec, ou eutanasia, en latin, signifie bonne ou belle mort comme mort douce. Toutefois, une mort violente, un suicide, peuvent être jugés préférables et bien qu’étant une mort violente, s’apparentent à une bonne mort. Il est difficile de donner une définition stricte de l’euthanasie, toutefois on distingue communément l’euthanasie active : acte de tuer délibérément une personne malade, à sa demande ou non, en fonction de son état et de sa douleur physique ou morale, acte auquel nous pouvons rattacher les actions nécessaire à l’assistance au suicide ; l’euthanasie passive : les trois modalités principale consistent à débrancher un appareil dont l’arrêt provoque la mort, à limiter un traitement ou l’usage d’une machine ou à prescrire un traitement anti-douleur dont la nécessaire escalade des doses induit la mort. Mais en pratique cette distinction est confuse. Finalement la seule décision semble pouvoir être retenu par tous est la suivante : « l’euthanasie est une mort imposée qui s’oppose à la mort naturelle ». Cette définition permet de mettre en lumière la différence d’intention et de résultat objectifs entre une mort causée sans être voulue et une mort voulue et imposée. Pour d’autres, on peut également parler de l’aide au suicide où le patient accomplit lui-même l’acte mortel, guidé par un tiers qui lui a auparavant fourni les renseignements et/ou les moyens nécessaires pour se donner la mort et  l’euthanasie indirecte c’est-à-dire l’administration d’antalgique dont la conséquence seconde et non recherchée est la mort.  L’alternative proposée par les médecins à l’euthanasie sont les soins palliatifs : il s’agit de tout mettre en œuvre pour abolir la douleur.

        a – Les exemples étrangers   
La France a choisi une voie différente de celle adoptée par d’autres pays. En effet, tous les pays admettent sans difficulté qu’un être humain capable de discernement puisse refuser un traitement médical qui ne sert qu’à prolonger sa survie. En revanche, la réponse qu’ils apportent diffère lorsque le patient n’est plus en mesure de donner son accord. Certains pays ont donc choisi de légiférer sur ce point afin de donner à chacun le droit soit, d’exprimer par avance, dans un testament de vie, son refus d’un traitement médical visant uniquement la prolongation de la survie, sans perspective de guérison , soit de désigner un mandataire chargé de prendre toute décision médicale à sa place en cas d’incapacité.
► Les testaments de vie au Danemark et en Suisse : Au Danemark, depuis 1992, la loi a reconnu une loi antérieure en permettant à toute personne majeure et capable d’exprimer par avance son refus d’être soignée, si elle devait se trouver dans une situation dans laquelle elle ne pourrait plus manifester sa volonté. Actuellement, ce droit figure explicitement dans la loi sur l’exercice de la profession médicale, ainsi que dans celle qui régit le statut du patient. Les intéressés doivent remplir des imprimés spéciaux qui sont enregistrés, moyennant paiement d’un droit minime. La loi oblige le personnel soignant à consulter le registre des testament de vie et souligne la force obligatoire de ces documents lorsqu’ils concernent des malades en phase terminale. En revanche, les testaments de vie des malades qui souffrent d’affections graves ou invalidantes n’ont qu’une valeur indicative. En Suisse, où la santé publique relève de la compétence des cantons, plusieurs d’entre eux, parmi lesquels le Valais et les cantons de Genève, de Lucerne, de Neuchâtel et de Zurich, ont légiféré pour reconnaître la force juridique des testaments de vie.
► Les testaments de vie ou les mandataires des Etats australiens et américains : En Australie, quatre des huit Etats ou territoires ont légiféré dans ce domaine. L’Etat de Victoria et le Territoire du Nord ont légalisé en 1998 les testaments de vie, tandis que le Territoire de la Capitale Australienne et l’Etat d’Australie Méridionale ont respectivement en 1994 et en 1995, adopté des lois prévoyant la désignation d’un mandataire ayant le pouvoir de refuser un traitement médical au cas où me mandant deviendrait incapable.  Aux Etats-Unis, tous les Etats ont légiféré pour permettre à chacun de refuser par avance tout acharnement thérapeutique. En Alaska, la loi ne prévoit que les testament de vie, dans les trois Etats du Massachusetts, du Michigan et de New York, elle n’autorise que la désignation d’un mandataire, dans tous les autres Etats elle admet les deux formes. Par ailleurs, aux Etats-Unis, la faible utilisation de ces possibilités par les malades a conduit la moitié des Etats à adopter des disposition permettant de désigner d’office un mandataire de santé.
En Allemagne, Angleterre et Pays de Galles, au Danemark, aux Pays-Bas, en Suisse, en Australie et aux Etats-Unis, l’arrêt ou l’abstention des soins, de même que l’administration de fortes doses d’antalgiques, sont couramment pratiqués pour abréger la vie de malades en phase terminale, mais le plus souvent en dehors de toute règle législative ou réglementaire. Le Danemark est le seul pays à avoir explicitement légalisé ces actes médicaux. En effet, la loi due l’exercice de la profession médicale permet au médecin, en l’absence de testament de vie et face à un malade en phase terminale de « se dispenser de commencer ou de poursuivre des soins qui ne peuvent que retarder la date du décès. Dans les mêmes circonstances, le médecin peu donner des antalgiques, des calmants, ou des produits analogues, qui sont nécessaires pour soulager le patient, même si une telle action peut conduire à hâter le moment du décès ». pour sa part, l’Etat de l’Oregon a chois de légaliser le suicide médicalement assisté.  Approuvée par référendum en novembre 1994, cette loi n’est finalement entrée en vigueur qu’en novembre 1997 à la suite d’un nouveau référendum car un recours en justice en avait suspendu l’application. Elle permet à « un adulte capable (…), dont le médecin traitant et un médecin consultant ont établi qu’il souffrait d’une maladie en phase terminale (qui entraînera la mort dans les 6 mois) et qui a volontairement exprimé son souhait de mourir, de formuler une requête pour obtenir une médicalisation afin de finir sa vie d’une manière humaine et digne ». 
Enfin, La Belgique et les Pays-Bas ont légiféré pour légaliser l’euthanasie lorsqu’elle est pratiquée dans certaines conditions. La loi néerlandaise, adoptée en avril 2001, est entrée en vigueur le 1er avril 2002 et la loi belge, adoptée le 16 mai 2002, est entrée en vigueur le 20 septembre 2002. Ces deux lois dépénalisent l’euthanasie, c'est-à-dire l’intervention destinée à mettre fin à la vie d’une personne à sa demande expresse, lorsqu’elle est pratiquée par un médecin qui respecte certaines conditions, les unes relatives à l’état du patient (souffrances intolérables, absence de perspectives d’amélioration, …), les autres à la procédure (information du patient, consultation d’un confère…). Les législateurs néerlandais et belge n’ont pas retenu la même formule juridique pour dépénaliser l’euthanasie.
En Belgique, le code pénal n’a pas été modifié. La nouvelle loi assure la protection juridique du médecin qui pratique une euthanasie à la demande de son patient, majeur ou mineur émancipé. La loi donne aux patients la possibilité de demander à l’avance qu’un médecin mette fin à leurs jours pour le cas où ils ne pourraient plus exprimer leur volonté. La procédure est dépénalisée sous respect de conditions de formes et de fond.
► Conditions de forme : la loi distingue selon que le patient est en phase terminale ou non pour ajouter une condition supplémentaire dans ce dernier cas. La demande du patient doit être établie par écrit dans un document qu’il rédige, date et signe. La demande n’a aucune valeur contraignante (aucun médecin n’est tenu de participer à un acte d’euthanasie). La demande doit figurer dans le dossier médical. Le médecin doit s’entretenir avec le malade de façon à acquérir la conviction qu’il n’y a aucune autre solution raisonnable dans sa situation et que la demande du patient est entièrement volontaire. Il doit avoir plusieurs entretiens espacés de façon à s’assurer de la persistance de la souffrance physique ou psychique du patient et de sa volonté réitérée. Enfin, le médecin doit consulter un autre médecin, l’équipe soignante, les proches du malades
► Conditions de fond : le patient doit être capable et conscient. Il doit formuler sa demande de façon volontaire, réfléchie et répétée et être libre de toute contrainte. Il doit se trouver dans une situation médicale sans issue et faire état d’une souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d’une affection accidentelle ou pathologique grave ou incurable.
► Procédure de contrôle : la loi organise un contrôle a posteriori systématique des euthanasies, en obligeant le médecin à remplir le document et à le transmettre à la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation dans les quatre jours qui suivent l’acte d’euthanasie. La commission se prononce dans un délai de deux mois. Lorsque l’euthanasie n’a pas eu lieu dans les conditions prévues par la loi, la commission décide à la majorité de saisir le ministère public.
Aux Pays-Bas, la loi du 12 avril 2001 relative au contrôle de l’interruption de vie pratiquée sur demande et au contrôle de l’assistance au suicide, et portant modification du code pénal ainsi que la loi sur les pompes funèbres dépénalise, dans certaines conditions, l’euthanasie, y compris lorsque la requête émane d’un mineur. La loi reconnaît explicitement la validité des demandes anticipées d’euthanasie lorsqu’elles ont été formulées par des patients âgés d’au moins seize ans.
► Conditions de la dépénalisation : l’euthanasie ne constitue pas une infraction lorsque le médecin a agi dans le respect des critères de minutie mentionnés à l’article 293 du code pénal et définis à l’article 2 de la loi relative à l’interruption de la vie pratiquée sur demande et de l’aide au suicide. Ces critères sont au nombre de six : (1) le médecin doit avoir la conviction que le patient a formulé sa demande librement et de façon réfléchie et constante ; (2) les souffrances doivent sans perspectives d’amélioration et insupportables ; (3) le médecin doit informé le patient de sa situation et de ses perspectives ; (4) le médecin doit être parvenu, en concertation avec le patient qu’aucune autre solution n’est envisageable ; (5) le médecin doit consulté un autre médecin indépendant sur le respect de ces critères de minutie ; (6) il doit pratiqué l’interruption de vie avec toute la rigueur médicalement requise. 
► Procédure de contrôle : La nouvelle loi sur les pompes funèbres oblige le médecin qui a procédé à une interruption  de vie à remplir un rapport permettant de vérifier qu’il a respecté les critères de minutie. Ce rapport doit être rédigé conformément à un modèle. Ce rapport est adressé au médecin légiste de la commune, qui le communique à la commission régionale de contrôle de l’euthanasie géographiquement compétente. Les commissions disposent de six semaines pour faire connaître leur avis, mais elles n’informent le ministère public que lorsqu’elles estiment que les médecins les ont méconnus.
Parallèlement, il ne faut pas négliger la position de la Cour européenne des droits de l’homme. A cet égard, il faut préciser que le Conseil de l’Europe a pris une recommandation le 25 juin 1999, n°1418 intitulée Protection des droits de l’homme et de la dignité des malades incurables et des mourants. Il y affirme que « l’obligation de respecter et de protéger la dignité d’un malade incurable ou d’un mourant ». Les Etats membres doivent donc assurer « aux malades incurables et aux mourants la protection juridique et sociale nécessaire contre les risques d’une douleur insupportable, de l’acharnement thérapeutique, d’une mort isolée ou du suicide à justification prétendument altruiste ». La loi doit reconnaître comme des droits individuels l’accès des malades incurables et des mourants à une gamme complète de soins palliatifs, leur droit à l’autodétermination et l’interdiction absolue de mettre intentionnellement fin à leur vie, puisque le droit à la vie est garanti par les Etats membres et que le désir de mourir exprimé par un malade incurable ou un mourant ne peut jamais constituer un fondement juridique à sa mort de la main d’un tiers. Tous ont droit à des sois palliatifs et l’euthanasie, comme terme intentionnellement mis à la vie de malades incurables et de mourants, est interdite.
Mais c’est surtout l’arrêt rendu par la CEDH, le 29 avril 2002 qui est intéressant. Madame Diane Pretty, ressortissante britannique, a déposé une requête contre le RU. Agée de 43 ans, atteinte d’une maladie neurodégénerative, irréversible et incurable paralysée du cou jusqu’aux pieds, elle réclamait devant la Cour le droit de mettre fin à ses jours avec l’aide de son mari. Elle alléguait dans sa requête une violation des articles 2, 3, 8, 9 et 14 de la Conv. EDH par le refus du Director of Public prosecutions d’accorder une indemnité de poursuites à son mari à la suite d’une aide au suicide de sa part. Aider quelqu’un à mettre fin à ses jours est sanctionné, en droit anglais, par la loi sur le suicide assisté (le suicide n’étant plus lui-même condamnable). Les 7 juges de la CEDH ont, à l’unanimité, rejeté la demande de Mme Pretty, estimant que le RU n’avait violé aucun article de la CEDH.
La thèse soutenue devant la Cour par Mme Pretty est intéressante. Selon celle-ci, le refus du suicide assisté est une violation de l’article 2 qui protège le droit à la vie. En effet, cet article protège le droit à la vie et non la vie elle-même par conséquent, une personne peut refuser, sur le fondement de cet article un traitement médical de nature à sauver sa vie ou à la prolonger et aurait donc un droit au suicide assisté. En quelque sorte, le droit de mourir, selon l’avocat de mme Pretty serait un corollaire du droit de vivre. De même, Mme Pretty considérait que la législation britannique l’obligeait à subir, du fait de sa maladie, un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la Convention. Pour elle, les Etats membres ont une obligation absolue et inconditionnelle de ne pas infliger des traitements proscrits et de prendre des mesures positives pour que les individus subissent de tels traitements. En autorisant le suicide assisté, le RU l’empêcherait de subir de tels traitements.
Mais les juges n’ont pas suivi ce raisonnement : pour eux, l’article 2, ne saurait, sans distorsion de langage, être interprété comme conférant un droit diamétralement opposé, à savoir un droit à mourir. Cet article ne saurait non plus créer un droit à autodétermination en ce sens qu’il donnerait à tout individu le droit de choisir la mort plutôt que la vie. Les juges ont également réfuté la position sur l’article 3 : la Cour a reconnu éprouver de la sympathie pour Mme Pretty mais elle a conclu qu’accueillir sa demande, c’était l’obliger à cautionner des actes visant à interrompre la vie, or, il n’y a aucune obligation positive de la part de l’Etat à cet égard, et par conséquent, il n’y a pas violation de l’article 3.
La requérante soutenait également que l’article 8 sur le droit au respect de la vie privée et familiale englobait celui de disposer de son corps et de décider ce qu’il doit en advenir. La prohibition du suicide assisté méconnaît cette liberté. La Cour a estimé, au contraire, que la nature générale de cette interdiction du suicide assisté n’était pas disproportionné et que cette incrimination pouvait s’avérer justifié et nécessaire dans une société démocratique. Etant donné la gravité de l’acte incriminé, il est apparu raisonnable, selon les juges, que la justice britannique ne permit pas à des catégories entières d’individus de se soustraire à l’application de la loi. Il n’y a pas plus de violation de l’article 9 sur la liberté de pensée, de conscience et de religion, car les convictions de la requérante concernant le suicide assisté ne se rapporte pas à une forme de manifestation d’une religion ou d’une conviction.
La Cour a enfin rejeté l’argument de Mme Pretty fondé sur l’article 14, arguant qu’elle subissait une discrimination en en pouvant pas mettre fin à sa vie comme pourrait le faire n’importe qu’elle personne qui ne serait pas atteinte de son handicap. La Cour retient elle que la différence entre ceux qui peuvent se suicider et ceux qui ne le peuvent pas est particulièrement ténue et il est trop dangereux (risque d’abus) de mettre en place une exception pour les personnes handicapées.

b – La situation française
En droit positif, l’acte d’euthanasie peut pénalement recevoir deux qualifications : ou bien c’est un homicide (s’il s’agit de donner directement la mort à quelqu’un) ou bien c’est une aide au suicide d’autrui (délit). La question est donc de savoir s’il existe un droit à la mort sachant que le suicide n’est pas lui-même sanctionné. Le code pénal définit, à l’article 221-1, le meurtre comme étant « le fait de donner volontairement la mort à autrui ». Le meurtre prémédité est un assassinat (article 221-3) encourant la réclusion criminelle à perpétuité. En l’état de la législation actuelle, l’euthanasie active ne peut que recevoir l’une de ces deux qualifications. Le meurtre suppose un élément intentionnel et matériel mais en cas d’euthanasie, la preuve de l’intention criminelle est toujours délicate à apporter. Il ne suffit pas de prouver que le médecin a inoculé une substance létale (élément matérielle) , il faudra encore convaincre qu’il l’a fait dans une intention criminelle (voir l’affaire Christine Malèvre ou celle de Vincent Humbert). Mais c’est là que souvent entre en jeu le caractère particulier des cours d’assises : les jurés sont toujours sensibles aux mobiles.
L’euthanasie est donc un sujet qui depuis la nuit des temps divise la société. Or, aujourd’hui, l’évolution des techniques médicales fait que de plus en plus de personnes décèdent à l’hôpital et que les médecins possèdent les moyens de retarder la venue de la mort. Pour autant, nombreux sont ceux qui ne se satisfont pas d’un acharnement thérapeutique là où l’arrêt de traitement, devenu manifestement inutile, serait préférable.  Le débat vient d’ailleurs d’être relancé en France avec la mort de Vincent Humbert que sa mère et son médecin, le docteur Chaussoy ont aidé à mourir et qui risquent pour cela une peine d’emprisonnement (le médecin risquant la réclusion criminelle à perpétuité. Face à ce cas qui a bouleversé la France, les adhérents de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) et Marie Humbert ont souhaité déposer sur leur site Internet une « proposition de loi »  qui, si elle recueille 100000 signatures, sera soumise à des parlementaires en vue d’une dépôt réel au Parlement. Dans ce texte d’initiative populaire figure le droit pour chaque malade de voir ses souffrances atténuées et la demande d’un développement des soins palliatifs. Ce texte réclame également le droit pour toute personne d’être seule juge de la qualité et de la dignité de sa vie ainsi que de l’opportunité d’y mettre fin. Pour ce faire, toute personne peut exprimer sa volonté dans une déclaration de volontés anticipées ou désigner une personne de son choix qui, le moment venu, exprimera sa volonté à sa place. En outre, toute personne faisant état d’une souffrance ou d’une détresse constante insupportable disposerait du droit de recevoir une aide active pour mourir dans la dignité qui ne peut provenir que d’un médecin qui aura pris l’avis d’une équipe soignante. Si un médecin fournit une aide active à une personne il ne sera pas poursuivi si les conditions et les procédures ont bien été respectées. En conséquence, ce texte n’introduit pas une dépénalisation de l’euthanasie mais une exception d’euthanasie qui, dans tous les cas, donnerait lieu à une enquête permettant de vérifier que le médecin a agi dans le cadre fixé.
Pour leur part, les députés ont déposé le 26 octobre 2004 une proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie qui a été adoptée en 1ère lecture à l’Assemblée nationale le 1er décembre 2004. Selon ce texte, soutenu par le ministre de la santé, le malade bénéficierait d’un droit au refus de l’obstination déraisonnable selon laquelle les actes médicaux ne doivent pas être poursuivis lorsqu’il n’existe aucun espoir réel d’obtenir une amélioration de l’état de la personne et que ces actes entraînent une prolongation artificielle de la vie. En outre, le médecin pourrait limiter ou arrêter tout traitement lorsque le malade en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable le décide. Dans cette hypothèse, le médecin devrait respecter sa volonté après l’avoir informé des conséquences de ses choix et serait tenu de dispenser des soins palliatifs. Enfin, toute personne pourra faire connaître ses décisions soit par des directives anticipées soit par le biais d’une personne de confiance. Devant l’insuffisance de cette proposition de loi, son dispositif a été amélioré en commission notamment par l’introduction d’un amendement portant sur le double effet c’est-à-dire sur l’administration de doses calmantes à des malades en fin de vie en vue d’apaiser leurs douleurs avec le risque d’abréger leur vie. Si ce dispositif est adopté, il rendrait licite l’administration d’un médicament destiné à soulager la douleur (type morphine) qui aurait comme effet secondaire d’abréger la vie à la double condition d’assurer une totale transparence à l’égard de la famille et de recourir à une procédure écrite établissant que le traitement a été donné en toute connaissance de cause. Même si les députés l’ont expressément rejeté (condamnant toute administration d’anti-douleur dans le but de provoquer la mort), cet amendement pourrait permettre d’autoriser l’administration de médicament anti-douleur à des doses létales et donc au final, donnerait un cadre à l’euthanasie active.   
Toutefois, l’accord n’existe pas entre les parlementaires puisque certains sénateurs ont déposé le 1er décembre 2004, une proposition de loi relative à l’autonomie de la personne, au testament de vie, à l’assistance médicalisée au suicide et à l’euthanasie volontaire. Ce texte va plus loin que la proposition des députés car il donne aux malades atteints d’une maladie incurable, la garantie de voir leur demande d’euthanasie ou d’assistance médicalisée au suicide prise en considération. Ce texte instaure un testament de vie permettant à la personne de choisir les modalités de médicalisation de sa fin de vie en interdisant notamment le recours à des soins ou des traitements pour la prolonger artificiellement. Ce texte fixe également des conditions précises à respecter pour pouvoir pratiquer une euthanasie et assure la sécurité pénale du médecin et une totale liberté de conscience. En fait, les sénateurs ont pour une grande part repris la « proposition de loi Vincent Humbert » qui, de ce fait, sera peut-être discutée au Parlement.
Quant aux scientifiques et aux médecins notamment, leur avis est également partagé. En témoigne l’évolution de la conception du CCNE qui dans un avis de 1991 s’était montré résolument hostile à toute intervention législative ou réglementaire pour légitimer l’acte de donner la mort à un malade. Puis, en 1998, le CCNE se déclarait favorable à une discussion publique sur le problème de l’accompagnement des fins de vie incluant la question de l’euthanasie. Enfin, il a émis un avis le 27 janvier 2000 selon lequel il se déclare favorable au refus de l’acharnement thérapeutique qui serait une obstination déraisonnable même si il existe un risque de précipiter la mort. Le CCNE unanime condamne l’euthanasie envisagée et effectuée hors de toute forme de demande ou de consentement de la personne ou de ses représentants. Mais, il est favorable à une exception d’euthanasie dans certaines situations de détresse lorsque tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance est insupportable. Il exige alors qu’il existe un consentement du malade ou de sa personne de confiance. Si ces conditions sont réunies, l’euthanasie pourrait alors être pratiquée. Pour autant, elle ne serait pas dépénalisée, il appartiendrait à une commission interdisciplinaire d’apprécier les circonstances exceptionnelles qui ont conduit à arrêter la vie notamment au regard des mobiles qui ont animé le médecin. Quelque soit le chemin choisi, il devient urgent de légiférer pour sortir de la clandestinité les milliers de personnes qui chaque année meurent après une décision de limitation ou d’arrêt des soins voire par injection mortelle. De cette façon, les médecins, les équipes soignantes et les malades et leurs familles pourront trouver toutes les réponses et le soutien nécessaires face à cette dure épreuve. En outre, il semble que la proposition de loi des députés soutenue par le gouvernement soit encore largement hypocrite puisqu’elle permettra de pratiquer des euthanasie sans réellement le dire de sorte que cette pratique ne sera pas véritablement encadrée à la différence de ce qu’ont choisi les autres pays.      

C – Le clonage
Le 23 février 1997, l’Institut Roslin d’Edimbourg annonçait la naissance d’un clone de brebis adulte. Cette nouvelle a soulevé un grand intérêt scientifique et beaucoup d’interrogations éthiques. Face au danger de l’extension de ce clonage reproductif à l’espèce humaine, le Président de la République, Jacques Chirac, a souhaité saisir le Comité consultatif national d’éthique, dès le 27 février. Il souhaitait « s’assurer que le dispositif législatif de notre pays (soit) totalement adapté aux nouveaux champs d’application ainsi ouverts ». Il demandait donc au C.C.N.E. de procéder à une analyse complète du droit positif et de proposer, le cas échéant, des adaptations nécessaires pour éviter tout risque d’utilisation de ces techniques de clonage sur l’homme. 
Il est important de rappeler d’emblée que les réflexions sur le clonage humain ne sont que théoriques puisque le transfert d’un noyau adulte n’est qu’au stade expérimental chez l’animal. La première interrogation que suscite la réalisation animale est, de ce fait, de savoir si on doit l’expérimenter sur l’homme. Le clonage reproductif est présenté comme un moyen d’éradiquer les “mauvais gènes”, appliqué il conduirait alors à un retour de l’eugénisme. Comme chez les ovins ou les bovins, il pourrait servir chez l’homme à reproduire des gènes considérés comme “désirables”. Le clonage, même reproductif, a donc toujours été envisagé à titre curatif. 
  Comme l’a rappelé le C.C.N.E., dans son avis n°54 du 22 avril 1997, il faut d’abord faire une distinction entre le clonage reproductif et le clonage thérapeutique, qu’il soit génétique ou cellulaire. Le clonage reproductif permet de créer un être identique génétiquement à un autre, selon deux méthodes possibles. L’une a déjà été expérimentée : c’est le clonage par division embryonnaire. Il consiste à diviser en deux un embryon conçu par fécondation in vitro, afin de créer volontairement des jumeaux homozygotes. L’autre méthode n’a jamais été officiellement utilisée en Europe sur l’être humain, elle consiste à prélever une cellule adulte sur un individu pour aboutir à un enfant qui serait une copie conforme génétiquement de cet individu. Le clonage thérapeutique est une méthode qui serait utilisée non pas pour obtenir un individu conforme à un autre, mais des lignées de cellules humaines qui seraient ensuite greffées à un individu malade dans le but de le soigner. 
Le transfert de noyaux embryonnaires a permis la naissance de singes annoncée par une équipe américaine en 1997. Si cette technique permet de cloner des singes elle est peut-être proche d’être appliquée à l’homme. La technique la plus spectaculaire reste celle employée pour Dolly, une création de clones par transfert de noyaux de cellules prélevés sur un organisme mammifère adulte. La technique semble même applicable désormais à l’homme. Il reste toutefois un problème de conception, puisque la méthode nécessite de disposer d’un nombre considérable d’ovocytes pour pouvoir multiplier les tentatives. Ce type de reproduction asexuée chez la brebis ne présente qu’un succès pour 300 transferts de noyaux. Comme le précise le rapport du C.C.N.E., ce serait donc des centaines, voire des milliers d’ovocytes humains dont il faudrait disposer pour parvenir à une naissance. Quand on connaît les difficultés rencontrées par les demandeuses d’ovocytes pour une assistance médicale à la procréation, cela ajoute aux difficultés techniques de parvenir à la naissance d’un enfant. C’est aussi pour cette raison que les sectes, comme celle de Raël, qui bénéficie d’un grand nombre d’adeptes prêtes à se sacrifier, peuvent prétendre y parvenir.
La difficulté de l’exécution se cumule aux interrogations qui entourent le résultat. Les dernières nouvelles de Dolly, dispensées par la presse, ont révélé que les cellules de la brebis n’avaient pas le même âge que la brebis elle-même. Elles étaient aussi âgées que la cellule mammaire souche qui avait permis le clonage. Rien ne permet de prouver que ce résultat se retrouverait chez l’homme. Mais, on risquerait alors de reproduire des individus dont les cellules seraient altérées. Cette technique de clonage, si elle était applicable à l’homme, pourrait donc entraîner de nombreuses anomalies. Toutefois, cette méthode n’induit pas les mêmes problèmes éthiques que la division embryonnaire puisqu’il s’agit d’une manipulation de deux cellules prélevées sur des adultes, et non d’œufs fécondés. Les deux cellules utilisées ne peuvent séparément conduire à la naissance d’un être humain. L’interdiction de ce type de clonage ne peut donc pas être basée sur la protection accordée au commencement de la vie, elle ne peut être issue que du respect de l’espèce humaine.
  Le clonage présente plusieurs avantages pour la reproduction. D’abord il permet d’augmenter les chances de grossesse lorsqu’un seul embryon a pu être obtenu in vitro. Lors d’une assistance médicale à la procréation la fécondation des ovules prélevés peut être très délicate, il est important de pouvoir multiplier ces chances en scindant le ou les embryons obtenus, surtout parce que tous les embryons formés ne s’implantent pas correctement dans l’utérus. Cette technique de scission de cellules embryonnaires offre également l’intérêt de faciliter la pratique du diagnostic préimplantatoire. Celui-ci met en péril la survie de l’embryon car il est effectué sur une cellule embryonnaire prélevée au stade d’un développement de huit cellules. La scission permettrait d’effectuer l’analyse sur un embryon et de congeler les autres en attendant le résultat du diagnostic. Ces deux utilisations se limitent donc à faciliter l’assistance médicale à la procréation, elles n’offrent pas une nouvelle technique de procréation artificielle.
En fait, seule la création de clones par transfert de noyaux de cellules prélevées sur un organisme mammifère adulte présente une nouvelle forme de reproduction. Elle ne nécessite pas de relations sexuelles, comme l’assistance médicale à la procréation, et elle n’exige pas, non plus, la rencontre d’une gamète mâle et d’une gamète femelle. C’est donc une forme de reproduction monoparentale. Elle est revendiquée par les hommes stériles pour assurer la perpétuation de leur lignage biologique. En effet, la F.I.V. et l’I.C.S.I. ont permis de repousser la limite de l’infertilité masculine mais celle-ci ne peut pas toujours être palliée par une I.A.D. Dans ce cas, la lignée biologique du père n’est pas transmise. Cette rupture de l’héritage biologique se retrouve également lors d’une stérilité féminine qui nécessite un don d’ovule. D’autre part, les enquêtes menées par les psychologues tendent à prouver que le père vit le recours au don de sperme comme une blessure s’ajoutant à celle de l’infertilité. L’enfant peut également être déstabilisé lorsqu’on lui apprend que son père social n’est pas son géniteur. Le clonage permettrait de contourner ces difficultés engendrées par l’assistance médicale à la procréation avec donneur. Il peut également permettre la procréation homosexuelle, cependant celle-ci étant majoritairement interdite par voie de F.I.V., elle ne serait sans doute pas acceptée par clonage.
Le clonage peut aussi préserver une lignée biologique qui va s’éteindre parce que l’individu n’aura jamais l’occasion de se reproduire. C’est le cas notamment pour un enfant sur le point de mourir. Ses parents peuvent vouloir reproduire à l’identique l’enfant dont ils sont privés. On peut aussi envisager de vouloir sauver la lignée cellulaire d’une personne “exceptionnelle”, comme M. Moore dont la lignée cellulaire présentait tant d’intérêt, mais aussi Mozart ou Einstein. Cet aspect du clonage est tout à fait surréaliste car le clonage ne permet pas de reproduire des individus identiques. L’identité génétique chez les vrais jumeaux n’induit pas une identité phénotypique complète. Les études menées démontrent que les traits cognitifs et comportementaux des jumeaux monozygotes ne sont en corrélation qu’à 50 %, contre 25 % chez les jumeaux hétérozygotes et 11 % chez les enfants élevés ensemble. Cette dissemblance limite également l’intérêt du clonage animal pour le rendement ou la qualité puisqu’il n’assure pas de retrouver à 100 % les mêmes caractères chez les clones. Les variations s’élèvent jusqu’à 30 %. L’utilisation du clonage pour reproduire des individus à l’identique serait non seulement une réduction de l’être humain à son génome mais également une réification inacceptable.
Il ne s’agit que de fiction pour le moment, mais l’on sait maintenant que le clonage d’être humain peut être réalisé. Toutefois, dès l’annonce de la naissance de Dolly des mesures nationales comme internationales ont été prises pour interdire ces pratiques. L’avis du C.C.N.E. a d’ailleurs insisté sur l’importance de mener un débat éthique « le plus possible en amont des recherches envisagées pour prévenir les faits ». Le clonage reproductif soulève sur ce point beaucoup plus de réticences que le clonage thérapeutique. Il est dénoncé comme remettant en cause le sens de l’humanité, de l’identité individuelle et de l’unicité.
Le clonage reproductif présente d’abord une remise en cause de notre conception de personne humaine. Cette nouvelle technologie de reproduction est déshumanisante car elle est basée sur le caractère interchangeable de l’être humain. Un enfant contient normalement la moitié du patrimoine génétique de sa mère et la moitié de celui de son père et non la copie conforme de l’un ou de l’autre. De même, cette technique de reproduction entraîne une perte des repères générationnels puisque « l’individu né d’un clonage serait à la fois le descendant d’un adulte et son jumeau ». Il se pose d’abord un problème de repères temporels entre l’adulte et l’enfant disposant du même génome. De plus, le clonage reproductif pourrait transformer tous les repères familiaux établis dans les sociétés occidentales, c'est-à-dire une conception unitaire et biparentale de la filiation. Le clonage est donc plus proche d’une prolongation de sa lignée cellulaire dans le temps que d’un mode de reproduction. La connaissance de son mode de création pourrait ainsi avoir un impact psychologique important sur le clone. On pourrait alors créer une situation de détresse psychologique telle que l’enfant issu du clone puisse être en droit de revendiquer un droit à ne pas naître. Enfin, comme toutes les manipulations génétiques, le clonage reproductif présente des risques pour l’écosystème. Il pourrait notamment conduire à un important appauvrissement de la diversité génétique des êtres humains. Les manipulations pourraient également produire des malformations et on ne connaît pas à long terme les effets psychologiques du clonage, ni si les clones seraient à même de se reproduire “naturellement” sans entraîner des tares génétiques. Finalement, le clonage reproductif présente d’importants risques génétiques, psychologiques et sociologiques ; c’est pourquoi il a rapidement été entouré d’importantes mesures de restriction, voire d’interdiction.
L’effroi soulevé par la naissance de Dolly a conduit les pouvoirs publics à s’interroger sur la nécessité de prendre de nouveaux textes pour assurer la protection de l’espèce humaine. Mais, dans la plupart des pays, les textes déjà en vigueur assuraient déjà cette protection. C’est, par exemple, le cas des articles 16 à 16-9 du Code civil français. La Confédération helvétique bénéficiait, elle, d’une protection constitutionnelle du patrimoine génétique humain, l’article 24 novies, 2 a, de la Constitution fédérale assurant que « les interventions dans le patrimoine génétique des gamètes et d’embryons humains ne sont pas admissibles ». Mais, d’autres textes plus généraux, comme ceux encadrant la recherche médicale au Danemark, les textes sur la recherche sur les gamètes et les embryons en Allemagne, aux États-Unis et en Suède ou encore les textes sur les procréations médicalement assistées en Autriche, en Espagne et au Royaume–Uni posent des limites à la pratique du clonage. En l’absence de textes législatifs spécifiques, des recommandations, des avis ou des normes professionnelles peuvent placer les bornes de la recherche sur embryon. Le problème restait de savoir si ces textes s’appliquaient bien au clonage reproductif, autre que la scission embryonnaire. De plus, si le clonage reproductif devait être interdit, le clonage thérapeutique pouvait être envisagé sous certaines conditions.
C’est dans le cadre du Conseil de l’Europe et du Parlement européen qu’ont été votés les premiers textes relatifs au clonage, et ce, bien avant 1997. Dès 1986 , la recommandation 1046 de l’Assemblée parlementaire avait invité les États à interdire « la création de jumeaux identiques par clonage (…) à des fins de sélection de la race ou non ». En 1989, c’est le C.AH.B.I. (Comité ad hoc d’experts sur la bioéthique) qui avait expressément conseillé de formuler cette interdiction. Le Parlement européen a suivi la même position en 1989 et en 1993. Il a, de plus, réaffirmé cette interdiction dans une résolution du 12 mars 1997. La Convention européenne sur les droits de l’homme et la biomédecine, adoptée en novembre 1996, ne contient pas explicitement d’interdiction du clonage mais elle est implicitement comprise dans l’article 13.
Cependant, la Convention a été complétée par un protocole, le 12 janvier 1998, qui est à présent le seul instrument juridique international contraignant, du moins pour les dix-sept pays du Conseil de l’Europe qui l’ont signé. Ce protocole se limite a prévoir qu’ « est interdite toute intervention ayant pour but de créer un être humain génétiquement identique à un autre être humain, vivant ou mort ». Le rapport explicatif au protocole additionnel explique que le Conseil de l’Europe « ne prend pas de position spécifique sur l’admissibilité du clonage des cellules et des tissus à des fins de recherche aboutissant à des applications médicales ». Le clonage n’est donc pas complètement exclu par les institutions européennes, s’il n’est pas reproductif. Le G.C.E.B. (Groupe de conseillers en éthique et biotechnologie de la commission européenne) a d’ailleurs précisé, dans son avis du 28 mai 1997, que le clonage animal est porteur d’utilisations potentielles extrêmement positives dans le domaine de la médecine et de la recherche médicale : amélioration des connaissances génétiques et physiologiques, réalisation de modèles de maladies humaines, production à un moindre coût de protéines, constitution de banques d’organes ou de tissus servant à des xénogreffes.
Au-delà de ces textes internationaux, la plupart des pays ont interdit le clonage par référence aux textes généraux qui interdisent de manipuler le patrimoine génétique, la recherche sur l’embryon ou sur les gamètes. Mais en Allemagne, en Australie, au Canada, au Danemark et en Espagne, l’interdiction du clonage reproductif est explicite. Seule l’Espagne interdit le clonage quel que soit le procédé utilisé, les autres textes prohibent la scission embryonnaire et beaucoup plus rarement le transfert de noyaux cellulaires. Les États-Unis n’ont pris aucune mesure pour interdire le clonage. Pourtant face à la volonté annoncée du physicien Richard Reed de cloner des êtres humains, le président Bill Clinton avait demandé au Congrès de prendre un texte contraignant. En mars 1997, il a, d’autre part, interdit que des fonds fédéraux puissent être consacrés à des expériences sur le clonage. Le Sénat n’a pas suivi la volonté du Président, puisqu’il a définitivement rejeté la proposition de loi d’origine républicaine interdisant définitivement tout clonage humain. Seul l’État de Californie a prohibé le clonage humain ainsi que la manipulation et le commerce d’embryons. La Chambre des représentants, à majorité républicaine, a adopté en juillet 2001, le Human Cloning Prohibition Act, interdisant toutes formes de clonage humain, à des fins reproductives ou thérapeutiques.
  En France, aucun texte spécifique n’a été pris sur le clonage avant 2004. Le Conseil d'État a rappelé, dans son rapport public de 1998, qu’ « il ne fait aucun doute que l’article 16-4 du Code civil contient déjà, dans sa rédaction actuelle, une interdiction de jure du clonage reproductif car celui-ci porte évidemment atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine et constitue une transformation des gènes dans le but de modifier la descendance de la personne, toutes choses formellement prohibées ». Toutefois, le C.C.N.E., à des fins pédagogiques, s’est montré favorable à la clarification des textes. Plusieurs propositions de loi sur l’interdiction du clonage ont été déposées en 1997. La réactualisation des lois de 1994 a donc conduit à préciser explicitement cette interdiction.
La loi du 6 août 2004 pose des interdits en matière de clonage mais elle soulève aussi des interrogations en raison de son volet répressif. La nouvelle loi prohibe explicitement le clonage reproductif humain après l’avoir défini comme « toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée ». L’interdit est formulé dans le nouvel article 16-4, alinéa 3, du code civil et réitéré dans le nouvel article L. 2151-1 du code de la santé publique. Il inscrit la loi française dans le prolongement des textes internationaux. La loi interdit également le clonage humain thérapeutique mais cette interdiction n’est formulée que dans le code de la santé publique. Le texte interdit en effet « toute constitution par clonage d’un embryon humain à des fins thérapeutiques ». Le même procédé est interdit « à des fins de recherche ». En termes de répression, la nouvelle loi consacre une distinction introduite par le Sénat entre le clonage humain reproductif et le clonage humain thérapeutique :
Répression du clonage humain reproductif : la loi élargit le titre du code pénal jusqu’alors relatif aux crimes contre l’humanité pour y ajouter une nouvelle catégorie : les « crimes contre l’espèce humaine ». C’est dans cette catégorie que s’insère le crime de clonage reproductif (articles 214-1 à 214-4 et 215-1 à 215-4 du code pénal). Ainsi, le « fait de procédé à une intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée est puni de trente ans de réclusion criminelle et de 7 500 000 euros d’amende ». L’obtention effective d’une naissance n’est pas exigée pour qualifier le fait criminel, ce qui importe c’est l’intention spéciale de l’auteur tendue vers le but de faire naître un enfant par clonage. La prescription de l’action publique pour un tel acte se trouve entre l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité et la prescription décennale des crimes de droit commun. Le délai de prescription de l’action publique en matière de crime contre l’espèce humaine est portée à trente ans. ce délai ne commence à courir, en cas de clonage reproductif ayant conduit à la naissance d’un enfant, qu’à compter de la majorité de l’enfant (article 215-4 du code pénal). Le délai de prescription des poursuites est donc au minimum de 48 ans à compter de la naissance de l’enfant si cette naissance a été obtenue, mais de 30 ans si tel n’est pas le cas, à compter de la réalisation de l’intervention.
Répression du clonage humain reproductif : la loi n’incrimine cette forme de clonage que comme délit en matière d’éthique biomédicale : « le fait de procéder à la constitution par clonage d’embryons humains à des fins thérapeutiques est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende » (article 511-18-1 du code pénal). Le même fait commis à des fins de recherche est également incriminé comme délit et puni des mêmes peines (article 511-18 du code pénal).
Une telle différence de traitement pénal entre le clonage reproductif et le clonage thérapeutique peut laisser dubitatif. En effet, dans un as comme dans l’autre le procédé technique est le même, c’est d’ailleurs pour cette raison que le clonage thérapeutique est interdit par le législateur français car sa maîtrise pourrait conduire au clonage reproductif. Seule la finalité change selon le type de clonage. Ce qui est singulier dans le clonage reproductif, c’est que le crime, s’il se réalisait, serait d’avoir fait ou voulu faire venir à la vie une victime qui serait nécessairement considérée comme un membre de l’espèce humaine. C’est bien là tout le paradoxe de la situation : traiter comme membre de l’espèce humaine celui dont la vie résulterait d’une manipulation génétique attentatoire à l’espèce humaine… On peut aussi se demander si le fait que la loi réserve un traitement pénal si différent au deux types de clonage n’a pas pour but de marginaliser le clonage reproductif pour faciliter une possible légalisation à l’avenir du clonage thérapeutique… Les derniers texte votés à l’Onu vont dans ce sens. En effet, la session de la sixième commission de l’Assemblée générale de l’ONU, chargée d’élaborer une convention internationale interdisant le clonage humain, s’est achevée le vendredi 19 novembre 2004 sans parvenir à trouver un accord sur le texte de cette convention. La communauté internationale est restée divisée entre les partisans de l’interdiction de toute format de clonage (reproductif et thérapeutique) derrière le Costa Rica suivi par 62 pays (dont les États-Unis) et les partisans de l’interdiction du clonage reproductif uniquement derrière la Belgique suivie par 22 pays (dont la France et le Royaume-Uni). L’Italie a alors proposé un projet de résolution qui invite les Etats membres à « interdire toute tentative de créer la vie humaine par le clonage et toute recherche visant à y parvenir ». On ne sait pas encore si ce texte sera contraignant pur les Etats. Finalement, la commission a décidé de créer un groupe de travail chargé d’élaborer une « déclaration des Nations Unies sur le clonage » sur la base du texte italien. Les discussions reprendront en février.


Publicité
Commentaires
Le Panda Rouge
Publicité
Publicité